Mes étés de camping

Jean-Pierre Robichaud, Le Pont, Palmarolle, septembre 2015

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été un amateur de plein air. Dès mon enfance, je m’évadais souvent dans la nature, au grand dam de ma mère inquiète qui demandait à mes cadets : « Mais où est donc votre grand frère? »

Enfant, je n’avais jamais «campé» ni couché ailleurs que dans mon lit. J’avais une peur épouvantable de la noirceur et de tous les monstres qui s’y cachaient, m’avaiton maintes fois seriné. Si, par malheur, je devais sortir dans le noir, c’était en coup de vent, les fesses serrées et une douloureuse boule d’angoisse à l’estomac avec l’impression qu’un vilain animal me suivait.

Ce n’est que vers l’âge de douze ans que je décidai enfin d’exorciser mes démons nocturnes. À un oncle, j’empruntai une toile huilée qui servait à couvrir le tracteur. Après une longue liste de recommandations de ma mère, un lunch dans une musette et la toile roulée sous le bras, je parcourus les mille pieds séparant la maison de la lisière du bois. Rendu là, j’étalai la toile sur un «rack» que j’avais préalablement monté. Dès le crépuscule, j’en fermai soigneusement les deux extrémités et m’allongeai, l’oreille à l’affût et le cœur battant.

La nuit fut très longue. Au début, je dormis par à-coups, assailli par les maringouins et à l’écoute du moindre bruit. Et ce qu’il en avait des sons, complètement inconnus, auxquels j’accolais toutes les peurs enfouies au fond de moi-même. Et pour ajouter à mes angoisses, un orage éclata au milieu de la nuit. Une lumière blanche envahissait l’abri à tout instant, suivie d’un roulement de rochers dont j’avais l’impression qu’ils déboulaient sur moi. Recroquevillé, les deux paumes bouchant les oreilles, je me mis à prier, souhaitant la fin rapide de cette apocalypse et l’arrivée aussi rapide de l’aurore.

Milieu ‘60, vers l’âge de vingt ans, je recommençai à camper. Montréalais d’adoption, je «montais» en Abitibi pour la chasse avec mes frères. Notre équipement était rudimentaire : une tente de prospecteur, une carabine, quelques accessoires de cuisine soutirés du fond des armoires, un «suit de ski-doo» en guise de sac de couchage. Malgré ce côté très rudimentaire en camping d’automne, nous y avons eu un plaisir fou, un immense sentiment de liberté, à l’image des coureurs des bois.

Puis je rencontrai celle qui est devenue ma femme. Elle n’avait pas encore dormi dans une tente et c’est avec fierté que je commençai à l’initier à cette activité que j’appréciais de plus en plus. La fuite dans la nature, la liberté, le dépaysement réveillaient en moi ce gène d’aventurier hérité de mes ancêtres acadiens. Munis d’une grosse tente de toile verte, nous allions du côté de Saint-Jovite, au Vert et Blanc. Puis arriva l’héritier.

Nous ne cessâmes pas de camper pour autant. Je vois encore mon épouse changer la couche du poupon de trois mois sur la table à pique-nique. Quand se pointa le deuxième, nous déménageâmes nos pénates de camping à Saint-Alexis-des-Monts, en Haute-Mauricie, lieu de naissance de ma conjointe. Nous passâmes de belles années avec les enfants. Nous avions «upgradé» nos équipements de sorte que ma conjointe et les enfants y passaient l’été. Quant à moi je faisais la navette entre mes «shifts» à la caserne et notre résidence secondaire.

Puis il y eut le retour en Abitibi et l’année sabbatique de 1986. Cette année-là, ayant à surmonter un triste deuil, ma conjointe et moi sommes partis pour la France. Là-bas, parcourant le pays à vélo pendant trois mois, nous avons piqué notre petite tente Canadian Tire à tous les soirs. Revenus de cette aventure, nous étions devenus accros du camping. Toutes les occasions étaient bonnes pour nous évader dans la nature. Nous avions encore amélioré nos équipements, sans toutefois nous priver du «confort» de la tente. Nos endroits de prédilection étaient devenus le Parc d’Aiguebelle et Esker Lakes.

En 2002, le goût de voyager à vélo me prit. Ce furent deux années de préparation pour ma grande évasion de 2004. Palmarolle-Maritimes-Palmarolle : 5 200 kilomètres et 65 jours, piquant ma tente tous les soirs et cuisinant mes repas. Émouvant retour au pays de mes ancêtres, l’Acadie. Après un intermède de quatre années accaparées par mon travail, je récidivai. En 2008, Gaspésie : 3 200 kilomètres. En 2009, Côte-Nord et Minganie : 2 300 kilomètres. Et finalement en 2010, Vancouver-Palmarolle : 4 600 kilomètres. Toujours en autonomie complète. Et je vais vous faire une confidence : en 2013, parvenu à un âge vénérable, je suis passé de l’âge de pierre à  l’ère moderne. J’ai troqué la tente pour un petit motorisé. Mais étant toujours aussi passionné des évasions dans la nature sauvage, je ne manque pas une occasion de repiquer ma tente et de coucher à la dure.

Respirer la nature à pleins poumons, s’enivrer de ses odeurs, sortir de sa zone de confort, souffrir parfois un peu, vaincre ses peurs, se dépasser, un mot résume tout ça : LIBERTÉ.

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