Ariane Ouellet, L’Indice bohémien, Rouyn-Noranda, juillet-août 2015
Le 7 juin dernier avait lieu au Centre d’exposition de Rouyn-Noranda le vernissage de l’exposition Dialogue Deux. Fruit du travail des commissaires Jean-Jacques Lachapelle et Virginia Pésémapéo Bordeleau, aidés par Caroline Lemire de Tourisme Abitibi-Témiscamingue, le projet vise à établir, comme son titre le dit, un dialogue entre des artistes autochtones et allochtones vivant en Abitibi-Témiscamingue. Une journée haute en émotions et en découvertes.
Bien plus qu’un simple vernissage, la journée était sous le signe de la rencontre, réunissant des membres de toutes les communautés anishnabek du territoire et des citoyens des quatre coins de la région. Des artisans installés dans le hall d’entrée du Centre d’exposition présentaient le fruit de leur savoir-faire : tambours, broderies et bijoux de perles, mocassins, pendant que dehors on pouvait se sustenter avec de la banique aux bleuets ou à l’érable cuite sur place par des cuisinières du Lac Simon.
De l’autre côté de la rue, les voix et tambours puissants des Screaming Eagles du Lac Simon invitaient les participants au Théâtre du cuivre pour l’activité « Bâton de parole », animée par Édith Cloutier, directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. C’est par une prière récitée en algonquin par Pierre et Jeannette Papatie que s’est ouvert l’après-midi.
La conférence de l’anthropologue Serge Bouchard a mis admirablement bien en contexte le défi que représente cette démarche culturelle, celle de trouver un espace commun de compréhension, celle de rétablir le dialogue après une rupture historique grave qui est celle de la période des pensionnats indiens à travers le Canada.
Un trop bref exposé de l’histoire des Algonquins (on en aurait pris des heures!), dépossédés de leurs vies par l’expansion de la Canadian International Paper Company (CIP), qui s’accaparait de plus en plus de forêt du pays, explique partiellement l’origine de cette dérive politique et sociale, ce que Serge Bouchard arrive à livrer avec beaucoup de mordant et d’humour, un humour nécessaire pour nous permettre de regarder la vérité en face. La conférence était suivie d’une prise de parole du public, un moment chargé d’émotions, d’autant plus que plusieurs personnes sur place étaient tout juste de retour d’Ottawa, pour la publication du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Un rapport accablant qui conclut que les Indiens du Canada, pendant la longue période des pensionnats, ont été victimes d’un génocide culturel. Rien de moins. D’ailleurs, l’émotion dans la salle était palpable, autant parmi les Autochtones que les Allochtones.
Le vernissage de l’exposition mettait donc un point final à cette journée, le concept étant de provoquer la rencontre entre des artistes autochtones et allochtones en réunissant des duos tantôt « évidents », tantôt audacieux. Au centre de la salle se trouve une sculpture des artistes Karl Chevrier, de Timiskaming First Nation, et de Jacques Baril, de Gallichan, déployant dans l’espace une œuvre réalisée à partir du canot d’écorce fabriqué par le premier, et d’une carcasse de bateau de bois désossée par le second. Il en résulte une œuvre impressionnante et forte en symbolique qui témoigne de la complicité qui s’est établie entre les deux sculpteurs dans leur processus de dialogue créatif. Complicité qui s’est avérée aussi dans d’autres duos : Kevin Papatie et Sonia Cotten, Darrel McBride et Christian Leduc, pour ne nommer que ceux-là.
On devine toutefois que ce dialogue n’est pas allé de soi pour tous les artistes jumelés, étant donné le laps de temps assez court pour la réalisation des œuvres de l’exposition et la divergence des pratiques. Pas si facile de trouver ce langage commun dans la création quand les objectifs ne sont pas les mêmes. Pas si facile d’établir une réciprocité. C’est d’ailleurs ce qu’abordait avec franchise et sensibilité Andréane Boulanger, jumelée au danseur traditionnel Malik Kistabish de Pikogan, pour parler de leur processus de création. Quand d’un côté il s’agit d’une recherche artistique et de l’autre d’une démarche spirituelle, il n’est pas évident pour eux de trouver comment dialoguer tout en restant sincère avec leur propre démarche. Le résultat est pourtant intéressant, peut-être justement parce qu’on y sent ce désir de communiquer et de s’accueillir malgré la difficulté.
Pour Gaétane Godbout et les artisanes brodeuses, le défi a été celui de la distance et du manque de temps pour établir une véritable réciprocité. « J’ai été bien accueillie, on m’a offert de la nourriture traditionnelle et j’ai passé la journée avec elles pendant qu’elles brodaient, mais il nous aurait fallu beaucoup plus de temps et d’occasions pour nous rencontrer et pour aller au bout. Je vois donc ça comme le début de quelque chose », explique Gaétane avec respect. Les peintures qui en résultent donnent toutefois un résultat magnifique où l’on sent la volonté de l’artiste d’intégrer ce qu’elle a reçu de la rencontre.
Pour ceux et celles qui n’ont jamais eu l’occasion d’être en contact avec la culture autochtone en Abitibi-Témiscamingue mais qui en ressentaient le besoin ou la curiosité, ce qui est le cas d’une grande partie des résidents de Rouyn-Noranda qui ne vivent pas à proximité d’une communauté anishnabe, la journée Dialogue Deux a permis d’ouvrir l’esprit à une meilleure compréhension de la réalité autochtone de notre territoire. Les artistes ont quant à eux le privilège d’avoir le motif de la création pour se rencontrer, ce qui est sans contredit un véhicule merveilleux pour tenter le rapprochement.
L’exposition restera en place jusqu’au 20 septembre prochain et vaut très certainement le déplacement, tant pour la diversité des propositions que pour leur audace.