Geneviève Gélinas, GRAFFICI, Gaspésie, juillet 2015
Depuis sa réouverture il y a cinq ans, la prison de Percé a vu défiler 367 délinquants sexuels, dont 254 ont complété la thérapie offerte dans ses murs. GRAFFICI a visité la prison de Percé, où séjournent des détenus de tout le Québec.
Première impression: la série de portes, toutes verrouillées, et le tintement du trousseau de clés pour passer chacune. Les fenêtres sont installées en hauteur et munies de barreaux. On y voit des coins de ciel, mais pas le rocher Percé. Les plafonds sont bas et les pièces, plutôt exiguës. Pour loger 42 détenus, il a fallu réaménager de l'intérieur une prison prévue pour 24.
Derrière une vitre teintée, un gardien surveille l'une des unités de vie entourée de barreaux. Assis à une table, un détenu joue aux cartes. La pièce est bordée d'une série de cellules meublées de lits superposés. Un pied chaussé d'une espadrille pend d'une des couchettes. La prison de Percé est « un peu le rêve de toute personne qui connaît la réalité carcérale et qui veut optimiser les conditions d'un bon traitement) pour les délinquants sexuels, résume André McKibben, le criminologue qui a dirigé la mise en place du traitement à Percé.
Être délinquant sexuel dans une prison, c'est être « marqué au fer rouge», dit M. McKibben. « Dans la hiérarchie carcérale, tu es au plus bas, en-dessous même de la personne qui a violenté sa grand-mère pour lui voler 5 $ », rapporte-t-il. Ces détenus ont souvent besoin d'une protection spéciale. Dans leur état « d'anxiété extrême », la moitié des délinquants sexuels déclinait l'offre de traitement et l'autre moitié ne terminait pas sa thérapie.
Rassembler les délinquants sexuels à Percé, où ils se retrouvent «entre eux, respectés et protégés», maximise les chances de succès, estime M. McKibben. Les détenus passent d'abord par six semaines de « sensibilisation» pendant lesquels le traitement leur est exposé. Ensuite, 85 % décident de rester; 97 % de ceux-là terminent la thérapie.
Oui sont ces délinquants?
Des hommes condamnés à des peines de 10 mois à deux ans à cause de délits sexuels. Là s'arrête la ressemblance. «C'est une des populations les plus hétéroclites que vous pouvez trouver. Il y a toutes les classes sociales, tous les âges, toutes les personnalités, certains ont été abusés sexuellement, d'autres non … », dit M. McKibben.
Parmi les détenus, 60 % ont commis des délits sexuels contre des enfants, 20 % contre des adolescents et 20 % contre des adultes, mentionne le criminologue.
Que font-ils pendant six mois à Percé?
La thérapie, « ce ne sont pas des rencontres à gogo, ce n'est pas Hare Krishna », insiste M. McKibben en brandissant les cahiers spiralés de théorie et d'exercices qui accompagnent les détenus au quotidien. Il faut d'abord leur faire prendre conscience de leur délit et du processus qui l'a précédé. «La plupart des détenus arrivent avec une perspective tronquée des facteurs qui les ont amenés à passer à l'acte. Ils disent «c'est arrivé comme ça.»
Une fois conscientisés, la thérapie vise à les responsabiliser. « C'est un examen minutieux du délit et de ses précurseurs. Il faut faire en sorte que la personne qui sort de Percé, si elle passe par la même séquence d'événements, elle va allumer», explique M. McKibben. Les détenus sortent avec un plan écrit des signaux d'alarme et des actions à poser. « Par exemple, j'ai commencé à être insatisfait, à me sentir rejeté, je me suis isolé, j'ai recommencé à consommer, à avoir des pensées, à aller sur Internet:.. l'action sera de consulter, de demander de l'aide. »
Pendant la thérapie, les détenus exercent aussi leurs habiletés sociales par des jeux de rôle. « Beaucoup de gens qu'on reçoit, je dirais 20 % à 25 %, sont très timides, dit M. McKibben. Tu essaieras de te faire un partenaire sexuel adéquat quand tu as de la misère à dire bonjour! »
Après cinq ans, les gestionnaires n'ont pas encore évalué l’effet de la thérapie sur le taux de récidive. Il commence tout juste à y avoir assez de détenus, sortis de prison depuis assez longtemps, pour avoir un échantillon représentatif, justifie M. McKibben. En attendant, l’équipe de thérapie de Percé accumule des données, dit-il. Quand une étude sera menée, « non seulement on va pouvoir dire si ça fonctionne, mais aussi pourquoi ça fonctionne.»
Des gardiens pas comme les autres
Geneviève Gélinas, GRAFFICI, Gaspésie, juillet 2015
Les gens qui travaillent ici sont convaincus qu'ils font vraiment de la sécurité du public au jour le jour. Si les détenus sortent d'ici plus heureux, capables d'entrer en relation avec les autres de façon saine, ça fera moins de victimes », affirme Guylaine Marchand, directrice adjointe de la prison de Percé.
«Un agent qui travaille à Percé est un agent complet », estime Mme Marchand. À la base, ils détiennent tous le même savoir-faire que n'importe quel autre agent en province. En prime, ils sont formés sur la délinquance sexuelle. Et leur rôle d'observation, d'écoute et de motivation des détenus est plus poussé. Même si une équipe de professionnels – criminologues, sexologues, travailleurs sociaux et psychologues – traite les détenus, les agents ont aussi un rôle à jouer. « Certains détenus disent: je n'ai pas demandé à être ici, ils peuvent se plaindre de l'éloignement, avoir peur de commencer une thérapie. L’agent doit semer le doute: en quoi c'est mauvais d'être ici?»
Pour côtoyer des délinquants sexuels au quotidien, ça prend « une maturité émotive», dit Mme Marchand. «Si on ne regarde que le délit et pas la personne, ça ne marchera pas.» « On a eu un bon roulement au début. Il fallait ouvrir avec des gens qui savent c'est quoi, une prison. Certains ont eu du mal à s'adapter à la région ou à leur rôle, ou leur conjoint n'avait pas d'emploi», rapporte Mme Marchand.
Aujourd'hui, 77 % du personnel est gaspésien. Cette station collégiale en services correctionnels offerte à Carleton-sur-Mer forme «un bon bassin» de recrutement. Cinq ans après l'ouverture, Mme Marchand estime que la population de Percé « a évolué avec nous. On est conscients que les gens ont eu des peurs, qu'il y a eu de la contestation. Mais on n'en entend plus parler.
On a respecté notre engagement: les détenus arrivent et repartent en fourgon cellulaire. Personne n'est libéré à Percé.
Une efficacité qui fait débat
L’efficacité du traitement pour minimiser les risques de récidive des délinquants sexuels ne fait pas l'unanimité. En 2009, le chercheur Karl Hanson et ses collègues du ministère fédéral de la Sécurité publique ont compilé 23 études sur le taux de récidive pour ce type de délits. Les délinquants non traités récidivaient dans une proportion de 19%, comparativement à 11 % pour ceux qui avaient reçu un traitement (taux non pondérés).
Le taux général de récidive (délits sexuels et non sexuels) passait quant à lui de 48% à 32% après une thérapie. Il a été impossible d'interviewer M. Hanson, un fonctionnaire fédéral; il nous a référés à une porte-parole qui a décliné notre demande d'entrevue.
Christopher Earls, professeur au département de psychologie de l'Université de Montréal, déplore le manque d'évaluation de l'efficacité des traitements. « Je ne dis pas que Percé n'obtient pas de bons résultats, mais c'est typique, un programme qui ne s'évalue pas.» La littérature scientifique n'est « pas très claire» quant à l'impact des thérapies sur le taux de récidive des délinquants sexuels, estime M. Earls, qui dit avoir cru à leur efficacité pendant « une grande partie» de sa vie professionnelle. Dans les années 1990, il a mis sur pied un traitement pour délinquants sexuels à La Macaza, un pénitencier fédéral dans les Laurentides. L’étude menée sur les détenus de La Macaza démontrait « un peu d'avantages initiaux, mais perdait ces avantages après quelques années». « Ce que je trouve décevant, c'est la quantité de temps et d'effort [mis sur les traitements] sans avoir confiance que c'est efficace, que l'individu ne présente plus un danger pour des enfants ou des femmes)), dit M. Earls.
Témoignage, ex-détenu de Percé
Parmi les détenus qui ont suivi la thérapie à Percé, il y a eu Jacques (nom fictif), 55 ans, condamné pour des attouchements sexuels sur sa petite-fille, alors une jeune adolescente. Jacques a passé les deux premiers mois de sa peine à la prison de Trois-Rivières. Il n'a pas vécu les vexations et la violence souvent subies par les délinquants sexuels en prison. Même si les autres détenus connaissaient son délit. « Dans une wing. il y a toujours un boss. Et dans la mienne. c'était des gars qui n'aimaient pas la violence, dit Jacques.
Jacques, un résident de Trois-Rivières, était hésitant à suivre une thérapie loin de ses proches. Le trajet en fourgon cellulaire jusqu'à Percé s'est fait dans l'inquiétude. « T'es mal assis sur un plexiglas, c'est long et pénible. Et c'est stressant, tu ne sais pas dans quoi tu t'en vas.»
Jacques s'est installé dans une aile avec d'autres nouveaux, qui allaient devenir ses compagnons de thérapie. Une gang « assez spéciale », dit -il. « On s'amusait, on chantait, on faisait les fous.» [homme se souvient de sa première incursion dans la cour intérieure. « Quand je suis sorti pour ma première "paf" de cigarette, c'était inquiétant.
Mais les détenus sont venus me voir, me serrer la main. » On ne rigole pas tous les jours en thérapie. Les détenus doivent notamment écrire leur autobiographie. «C'est des choses très dures pour tout le monde. J'ai trouvé dans mon passé que j'avais de gros manques à gagner), dit Jacques. Son père est décédé alors qu'il avait 15 ans et l'attention de ses parents se concentrait sur sa sœur. « J'ai besoin de beaucoup d'amour et je suis allé le chercher à la mauvaise place », analyse-t-il.
Avant son séjour à Percé, Jacques n'était pas du genre à analyser ses émotions et ses gestes. «Dans ma vie, je ne me posais pas de questions, ça coulait de même. Se poser des questions sur mes besoins, ça ne faisait pas partie de mon quotidien. »
Aujourd'hui, Jacques discourt sur la chaîne émotivo-rationnelle, l'approche thérapeutique utilisée à Percé. Elle consiste à comprendre l'enchaînement des pensées et des émotions qui mènent à certains comportements. «Si tu ne gères pas (cette chaîne] comme il faut, c'est là que tu fais des gestes [condamnables]. Aujourd'hui, je suis conscient de ce que je veux, de comment le combler sainement et de quoi faire changer pour ne plus que ça arrive. »
Une fois sorti de prison, Jacques ne s'est pas retrouvé seul. Sa conjointe l'avait attendu. Un organisme communautaire a assuré son suivi. Il a assisté à des rencontres de groupe une fois par mois et à des rencontres individuelles deux fois par semaine. Il a recommencé à rénover des appartements, son travail avant la sentence. Le simple fait d'avoir passé dix mois en prison l'aurait dissuadé de commettre à nouveau un délit sexuel, estime Jacques. Mais en plus, aujourd'hui, «je suis conscient et je comprends».