Martine Corrivault, La Quête, Québec, juillet-août 2015
On dit l'or bleu pour l'eau comme on dit l'or noir pour le pétrole; désormais, il faudra payer pour l'un comme pour l'autre. Comment en est-on arrivé là ? Qui a permis ça ? Comment inverser la tendance ? Chose certaine, on ne peut plus jouer les innocents heureux.
La situation n'a rien de nouveau. Un ouvrage, écrit il y a déjà une quinzaine d'années par Maude Barlow et Tony Clarke, brossait le tableau inquiétant des combines ourdies autour du commerce international de l'eau. Leur livre intitulé Blue Gold : The Battle Against Corporate Theft of the World's Water – traduit en un français plus modéré par L'or bleu : l'eau, nouvel enjeu stratégique et commercial – s'avère d'une troublante actualité : le mouvement amorcé à la fin du XXe siècle s'amplifie et se précise.
Pour l'eau comme pour le pétrole, nous profitons de la ressource sans nous poser de questions. Pourtant, il faudrait y réfléchir en commençant par nos choix les plus anodins. La bouteille d'eau qui nous suit partout, par exemple. Fabriquée de produits dérivés du pétrole, elle contient une eau qu'on achète avec
bonne conscience: on prend ainsi soin de sa santé. Au Québec, la consommation d'eau embouteillée dépasse chaque jour 250 000 contenants d'un demi-litre.
Un reportage sur la formation d'un véritable continent de déchets en plastique dans le Pacifique nous indigne ? Qu'on se rassure: nous autres, on recycle! Mais d'où viennent les bouteilles et canettes qui sortent de partout lors des grandes pluies et à la fonte des neiges ? En glissant 2 $ dans la distributrice, se demande-t-on à qui ça rapporte ? Pourquoi ne fait-on plus confiance à l'eau du robinet? On paye pourtant des taxes pour l'aqueduc. Pourquoi cette eau goûte-t-elle mauvais, est-elle contaminée ? Un lien avec la vente d'eau embouteillée ?
Les campagnes pour éviter le gaspillage de l'eau se suivent mais on les ignore, jusqu'au jour où la municipalité annonce une rupture de services ou impose de faire bouillir l'eau ! Au quotidien, or bleu et planète bleue sont comme des personnages de bande dessinée : des fictions sentimentales. Pourtant, si vous tapez le mot « eau » sur votre clavier, l'ordinateur vous déverse un océan d'informations compilées par les ONU, OCDE, OMS, FAO et autres organisations mondiales.
Prévisions et statistiques abondent sur les drames en devenir et les tragédies en cours. On distribue des recommandations et avance des solutions lors de forums internationaux, lesquels se concluent par de pieux voeux. Les grandes puissances et leurs gouvernements bougent lorsque leurs intérêts économiques sont menacés ; leurs promesses servent surtout à calmer les esprits.
Neuf pays disséminés un peu partout sur la Terre monopolisent 60 % de l'eau de la planète, qui en est pourtant couverte à 70 %. Seulement 3 % de cette eau est douce et éventuellement consommable. Avec ça, il faut répondre aux besoins de six milliards d'humains qui, en 2050, seront neuf milliards. On ne compte
pas ceux des bêtes autour. Pour survivre, l'être humain a besoin d'un litre d'eau potable par jour. Dans les pays industrialisés, tous les usages qu'on en fait font grimper cette consommation à une moyenne supérieure de 200 litres par habitant.
À celui qui vit sous des cieux moins favorables, il ne reste que des gouttes à boire. Facile alors de comprendre ses tentatives de migration vers les pays riches… qui n'ont cependant pas envie de partager. Et leur gaspillage perdure. Mais que peut-on y faire ? Arrêter de cultiver des légumes, d'abreuver les bêtes, de se laver? Ou encore récupérer les eaux usées et les traiter pour les remettre en circulation, se lancer dans la désalinisation des mers ou faire fondre les glaces polaires ? Un disciple du professeur Tournesol a un jour proposé de remorquer les glaciers du Nord vers le Sud. Aujourd'hui : on toue, avec
des remorqueurs, des sacs scellés contenant des millions de litres d'eau.
Dans notre Québec parsemé de lacs et de rivières, le problème touche la qualité de l'eau disponible. Des îlots de citoyens manquent d'eau potable parce que les sources saines deviennent rares. Et les autorités regardent ailleurs. Avant qu'il ne soit trop tard, nous devons exiger de nos élites politiques qu'elles cessent de se cacher derrière les gris-gris de l'économie et rendent des comptes sur les choix qu'elles font. Il en va de la survie de tous.