Les rêves étoilés d’Alexandra Roy

Sylvie Gourde, Le Tour des Ponts, Saint-Anselme, juin 2015

À 23 ans, Alexandra Roy rassemble tous les ingrédients pour réussir une carrière de chef cuisinier. Même si elle avoue bien humblement avoir encore des croûtes à manger pour coiffer la toque, elle décline déjà un parcours bien relevé. Elle revient tout juste d’un séjour d’un an au restaurant Lucas Carton, l’un des plus vieux restaurants de Paris de renommée internationale. D’abord une taverne anglaise en 1732, la maison remplie de reliques devient en 1925 Lucas Carton, puis de 1985 jusqu’en 2005, le célèbre trois étoiles est tenu avec brio par Sanderens avant d’être cédé à Vranken de l’emblématique maison de Champagne Pommery.

Déjà en 1860, l’établissement sis à la place de la Madeleine (près de la Concorde) s’avérait le restaurant de tout Paris sous Napoléon III. Aujourd’hui, les mets délicats servis dans les somptueux salons modulaires au mobilier design arborent un attrait irrésistible pour les fines bouches.

 

Une assiette finement garnie

 

Ses études secondaires terminées, Alexandra s’inscrit en gestion d’un établissement de restauration au collège Mérici. Outre les principes de base en cuisine, Alexandra apprend la gestion des opérations de production, de service de mets et de produits culinaires. Elle bénéficie de la possibilité d’effectuer des stages, trois étés durant, dans des établissements de belle renommée.

C’est ainsi qu’elle fréquente, le premier été, les cuisines du Cosmos où elle conservera l’année suivante un poste à temps partiel. Puis, elle est admise au Panache, restaurant de fine gastronomie de l’Auberge Saint-Antoine dans le Vieux-Québec. Le dernier été, elle fait ses classes à L’Initiale qui a pignon sur la rue St-Pierre à quelques enjambées du Panache.

Au cours de ses deux années d’expérimentation au Panache, elle fait la connaissance du chef français Julien Dumas. Promu grand chef Relais Châteaux, Dumas retourne à Paris pour prendre en charge les cuisines du Lucas Carton. C’est aussi à la même période qu’Alexandra rencontre son bel amoureux Charles Provencher Proulx, animé lui aussi d’une passion jumelle. Charles convainc Alexandra d’entamer les procédures pour du travail à l’international. Elle s’était bien juré de ne jamais fréquenter les cuisines françaises en raison de la réputation belliqueuse des chefs de brigades.

Ses craintes seront injustifiées: elle y découvrira une équipe dévouée, un véritable microcosme de convivialité et d’entraide à l’esprit familial.

 

La Planque

 

Mais avant de concrétiser cette expérience outre-mer, Alexandra, diplôme en poche, donnera un sérieux coup de barre à l’ouverture du restaurant La Planque, îlot gastronomique serti dans le quartier ouvrier de Limoilou. Pendant 18 mois, elle évoluera en compagnie de Guillaume Saint-Pierre, gagnant de l’émission Les chefs! 2011. Elle l’assistera tout particulièrement dans la préparation des entrées et des pâtisseries. Charles, pour sa part, touille différents mets au Panache.

 

Sur les routes américaines

 

Au printemps 2014, Alexandra et Charles s’accordent un répit de deux mois afin de visiter les États-Unis, histoire de tester leurs papilles gustatives et de prendre le pouls sur le modèle américain. Au fil de leurs pérégrinations, ils feront un bref arrêt dans un bistrot à San Antonio au Texas. Le maître d’hôtel qui les entend discourir en français, sa langue d’origine, entame la conversation avec eux. Il les met en contact avec un chef cuisinier qui travaille dans un Relais Châteaux, à une centaine de kilomètres de l’endroit. Alexandra y découvrira un site enchanteur rehaussé de villas somptueuses et de jardins luxuriants. Un véritable paradis terrestre! C’est dans de tels lieux qu’elle aspire à cuisiner. Lucas Carton

Puis ils débarquent dans la Ville lumière en mai 2014. Alexandra et Charles oeuvreront un an, presque jour pour jour, dans le prestigieux Lucas Carton auprès du célèbre chef Julien Dumas. Les journées débutent vers 8 heures le matin et se terminent vers les 22-23 heures, cinq jours par semaine, les dimanches et lundis étant jours de relâche. En France, les normes du travail, au niveau de la restauration, diffèrent grandement de celles du Québec.

Cette expérience en accéléré sera un véritable laboratoire pour Alexandra. Elle sera attitrée d’abord aux entrées, les quatre premiers mois, puis effectuera les garnitures des viandes.

C’est ainsi qu’elle a l’heureux privilège de participer à une grande compétition des chefs sélectionnés pour le Prix Lebey. Le Lucas Carton est invité pour une dégustation de viandes et Alexandra veillera à la garniture: des oignons gratinés au parmesan, rehaussés de grains de condiments poivrés avec une sauce d’accompagnement. Alexandra gagnera du galon rapidement au cours de cette année de belle effervescence. Nommée demi-chef, elle monte dans la hiérarchie de la brigade. La brigade est un ensemble de cuisiniers dans un restaurant. Elle est dirigée par le chef de cuisine. Pour le seconder, le chef a sous son autorité un ou plusieurs sous-chefs et chefs de partie. Le nombre varie suivant l’importance de l’établissement. Les chefs de partie sont aidés, selon leur tâche, par les premiers commis, les commis, les apprentis et les stagiaires. La préparation des mets est répartie en catégories: entrées, poissons, viandes, garnitures des viandes, desserts.

 

Un bagage génétique

 

Sous la chaleur des hauts fourneaux, Alexandra forge aussi sa personnalité, affine sa créativité. Elle s’affirme davantage et use d’audace. Elle a pris la mesure de son endurance physique et de sa capacité d’adaptation. Sa passion pour la gastronomie se déploie et s’arrime aux rêves de ses treize ans. Déjà, jeune adolescente, elle mobilisait la cuisine les fins de semaine pour expérimenter recettes et pâtisseries. Que de gâteaux a engloutis avec délice la tribu familiale.

Sa passion a été nourrie par son père Jean-Guy, qui joue avec brio le chef-coq aussi souvent que possible, sa mère Louise Chabot et ses grands-parents. Le fumet du bouilli de sa grand-maman, Claudette Rodrigue, préparé avec les légumes de son propre jardin, a titillé très tôt l’instinct d’Alexandra pour la bonne nourriture. Cette aptitude incarne aussi l’esprit entrepreneurial de son grand-père Raymond Roy qui a fondé la Charcuterie Roy de Saint-Anselme. Avec générosité et excellence, toute la famille maîtrise l’art de dresser la table et d’accueillir les convives.

La formation diversifiée d’Alexandra et ses expériences culinaires élargissent sa vision de la gastronomie qui déborde largement de l’assiette. Partager un repas, c’est goûter à l’histoire d’un peuple, ses rites, sa géographie, ses produits du terroir. Bien des histoires accompagnent le nom d’une recette, la manière de préparer un mets, l’art de le présenter. Bien manger, c’est ouvrir tous ses sens aux couleurs et aux saveurs qui assaisonnent chaque plat.

Les émissions spécialisées diffusées au petit écran, les Ricardo, Marcotte et congénères qui réinventent la cuisine, viennent rehausser l’idée que la bonne cuisine est accessible pour tous. Les livres de recettes se multiplient sous l’impulsion des grands chefs qui présentent en téléréalité le défi de bien s’alimenter.

 

Ces rêves étoilés

 

De passage à Saint-Anselme en mai dernier, le temps de serrer sur son cœur les membres de sa famille, Alexandra reprend la route, avec son copain, en direction de Montréal. Les bistrots et restaurants y sont en plus grand nombre. Ils espèrent ainsi se trouver rapidement du boulot, en attendant d’ouvrir leur propre restaurant, cultiver leur potager et d’accrocher quelques bonnes étoiles de haute gastronomie à leurs rêves d’alchimie culinaire.

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