L’agriculture urbaine

Nouvelle tendance et lettres de noblesse

Patrick De Bortoli,
journaldesvoisins.com,
Montréal, juin 2015

Depuis quelques années, il est devenu courant d’employer la notion d’agriculture urbaine pour désigner une nouvelle tendance, dans les villes occidentales, à se réapproprier un secteur d’activités agricoles depuis longtemps perdu.

Il existe une myriade de définitions qui tentent de rendre compte du phénomène, mais voici celle que je vous propose, colligée au fil de mes lectures : l’agriculture urbaine, c’est l’activité de faire pousser des plantes et d’élever de petits animaux à des fins alimentaires, dans la ville ou en périphérie de la ville, à l’échelle domestique ou industrielle.

Elle comprend, de plus, toutes les sphères complémentaires qui se rattachent à cette activité, telle que la transformation et la distribution de ces produits.

Mais bien au-delà de cette définition, il faut comprendre l’agriculture urbaine comme un processus dynamique, comme une mouvance ou une intention sociale répondant à une nécessité collective de sécurité alimentaire, de cohésion sociale et de gestion durable de notre environnement. Elle prend différents visages, mais entonne le même chant : celui de la souveraineté alimentaire.

 

Historique

 

La ville et l’agriculture se côtoient de très longue date. Le seul battement de paupière historique qui fait exception à cette règle est la période de la révolution industrielle à nos jours, pour ce qui est des pays occidentaux, où nous avons vu se dessiner une fracture entre ville et campagne, entre lieu de production alimentaire et lieu de consommation. Les avancées technologiques du XXe siècle ainsi que la Révolution verte n’ont fait que renforcer cette dichotomie. L’agriculture industrielle s’est mise à produire substantiellement, pour nourrir une population de plus en plus grande. Elle apporta avec elle, aussi, une utilisation massive de produits chimiques, une dépendance au pétrole accrue, ainsi que la monoculture et l’appauvrissement des sols. Devant ce tableau, l’agriculture en ville à refait surface pour tenter de pallier les nouveaux défi s sociaux, économiques, environnementaux et alimentaires qui émergent.

 

Trois enjeux

 

Si une pléthore de défi s nous attend dans les décennies à venir, il en existe quelques-uns qui se démarquent particulièrement et que l’agriculture urbaine tente de relever. Je les classerais en trois grandes catégories : démographiques, environnementaux et socioéconomiques.

La population planétaire pose à elle seule un défi de taille pour l’humanité. Elle est exponentielle et prend une forme particulière, dans la perspective qui nous intéresse, car elle se veut de plus en plus urbaine. Alors que partout dans le monde, les gens se massent dans les villes et s’entassent dans la précarité sociale et économique, il est clair que c’est de ces mêmes foyers citadins que devront émerger des solutions.

L’agriculture urbaine, loin d’être une panacée, tente néanmoins de répondre à cet enjeu en envahissant les espaces publics de la ville pour en faire des lieux de production alimentaire. Des cours de particuliers en passant par les cours d’école ou les toits d’édifices publics et les terrains laissés vacants, la ville est repensée en termes d’une multitude de lieux de culture, pour non seulement nourrir ses citoyens localement, mais aussi les employer, les éduquer, les responsabiliser et les socialiser.

 

Lendemains possibles

 

Rapprochant les lieux de culture des populations, l’agriculture urbaine assure une plus grande sécurité et souveraineté alimentaire pour une population croissante, mais également une alimentation plus saine. Car inscrite au cœur du mouvement de l’agriculture urbaine est une approche écologique durable, qui comprend l’étroit lien entre l’être humain et son environnement, de même que des modes de production qui doivent assurer la pérennité de son activité.

Ce qui nous amène au deuxième enjeu. Si l’humanité urbanisée souhaite s’assurer d’un possible lendemain, elle doit obligatoirement souscrire à une approche durable et ainsi renoncer à sa dépendance aux produits dérivés du pétrole et s’assurer d’un enrichissement constant des sols qui la nourrissent.

C’est précisément ce que l’agriculture urbaine propose en adoptant des techniques écologiques qui ont le souci de la Terre à cœur. Elle nous pousse également à revoir notre gestion de l’eau et de nos résidus organiques en les transformant en ressources, de même qu’elle nous entraîne vers une agriculture à petite échelle, de proximité, qui encourage la biodiversité et réduit les émissions de gaz à effet de serre, de même que les îlots de chaleur.

 

Mouvement citoyen

 

Finalement, il n’y aurait pas d’agriculture urbaine si celle-ci ne prenait pas en compte une de ses ressources les plus indispensables : ses citoyens. L’agriculture urbaine est avant tout un mouvement porté par les citoyens et la société civile. Par le biais d’OBNL, de jardins communautaires et collectifs, de jeunes entrepreneurs et de citoyens engagés qui joignent ses rangs, une conscience collective se développe, des emplois se créent et des liens se tissent.

L’agriculture urbaine se lève pour tenter de relever les défis de la fragmentation sociale et de la paupérisation urbaine, et ce, à travers le monde. Par ses initiatives, elle éduque et renforce le tissu social qui est lui-même garant d’une démocratie forte et viable. L’agriculture urbaine est bien des choses, mais elle est surtout votre visage et le mien. Ainsi prendra-t-elle les allures que nous lui donnerons.

Pour l’instant, elle reprend peu à peu sa place, dans un monde qui à faim d’espoir!

 

 

 

Agriculture urbaine dans Ahuntsic-Cartierville

Rabéa Kabbaj, journaldesvoisins.com, Montréal, juin 2015

 

Selon Patrick De Bortoli, chroniqueur horticole de journaldesvoisins.com, il semblerait qu’environ 46 % des Montréalais pratiqueraient, à plus ou moins grande échelle, l’agriculture urbaine. Pour l’instant, l’agriculture urbaine est principalement portée par des OBNL. Ici, dans l’arrondissement, on la connaît principalement sous la forme de jardins communautaires et de jardins collectifs. Mais plusieurs autres petites initiatives s’y greffent. Voyons-y voir de plus près.

La Ville y joue aussi un rôle en adoptant certaines législations qui favorisent son déploiement et qui permettent en retour à différents OBNL d’envahir à bon escient des terrains vacants, des saillies de trottoirs, par exemple, pour que soient cultivés des légumes et des fruits.

Comme tout phénomène social, une multitude d’acteurs peuvent aussi y prendre part, dont certaines initiatives privées de citoyens qui transforment leur terrain en lieu de production et dont les démarches peuvent s’inscrire dans une mouvance globale du type Les Incroyables comestibles, où on encourage les passants à se servir, ou lors d’échanges de plantes et arbustes par le biais du Web, comme Plant Catching.

Les petits potagers comptent aussi certainement. Mentionnons quelques autres initiatives citoyennes comme les potagers de devanture de maison, les poules clandestines, la récupération des eaux de pluie, et la végétalisation des murs de maison. Il ne faut pas oublier non plus le secteur commercial comme les Serres Lufa, sur notre territoire, lesquelles cultivent sur les toits. Finalement, certains particuliers peuvent produire fruits et légumes localement et en petites quantités pour des commerces environnants. Encore faut-il les trouver…

 

Jardins collectifs

 

Avec près d’une vingtaine de jardins collectifs (dits également « éducatifs») dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, dont neuf à Ahuntsic, l’arrondissement n’est pas en reste en matière d’agriculture urbaine. Portés pour leur grande majorité par l’organisme Ville en vert, ces projets qui s’adressent à des publics divers et variés poursuivent des objectifs tant éducatifs que sociaux, en plus de partager avec les participants des techniques faciles pour jardiner sur son balcon, voire dans certains cas des sacs pleins de fruits et légumes frais.

« Depuis 2012, dans Ahuntsic, on travaille à un projet qui s’appelle Jardins collectifs Ahuntsic. Il est financé en partie par Québec en forme, en matière de ressources humaines, et est né d’une concertation au sein de la table de quartier Solidarité Ahuntsic », explique Marc Sardi, chargé de projet Biodiversité urbaine chez Ville en vert. Ce projet vise à rendre accessible le jardinage aux populations qui sont moins bien desservies, soit les résidants dont les logis ne sont pas forcément situés à proximité d’un jardin communautaire ou qui demeurent loin des surfaces de vente de fruits et légumes frais.

Cette initiative a démarré dans les milieux scolaires et dans des HLM du quartier. « On a quatre écoles qui ont adhéré à la démarche depuis 2012 et trois HLM dans Ahuntsic. On fait aussi des petites interventions dans un CPE et dans d’autres endroits : au Collège Ahuntsic notamment où l’on a aménagé une plate-bande fruitière », note M. Sardi en soulignant que Ville en vert s’occupe d’un total de sept potagers dans Ahuntsic.

 

Projets dans Cartierville

 

Sept, c’est également le nombre de jardins collectifs encadrés par Ville en vert dans Cartierville, comme l’indique Véronique Bleau, animatrice en agriculture urbaine chez Ville en vert pour les projets dans ce quartier. Ce chiffre englobe trois potagers éducatifs dans des garderies, le CPE du YMCA, le CPE Enfants de tous pays et le CPE de Cartierville, des potagers dans les résidences de personnes âgées, Villa Rimbaud, Résidence Rosalie-Cadron et Porte d’Or des Îles, et un grand jardin collectif à l’école Louisbourg. « J’y donne des ateliers à partir du mois de mars dans cinq classes et, durant l’été, ce sont dix mamans qui ont leurs enfants à l’école Louisbourg qui viennent avec moi trois fois par semaine et on s’occupe du jardin », décrit Mme Bleau.

 

Récolte partagée

 

Ce dernier jardin constitue le projet le plus imposant de l’écoquartier dans Cartierville. Pendant la période des récoltes, de la fin juin et parfois jusqu’à la fin octobre, ce qui est récolté est pesé puis divisé entre les familles participantes. « Chaque famille repart avec un gros sac de fruits, légumes et fines herbes », souligne Mme Bleau, et ce parfois jusqu’à plusieurs fois par semaine, durant les périodes où les récoltes sont particulièrement importantes.

Dans les résidences des personnes âgées, des bacs en hauteur adaptés pour les résidants ont été installés. Mme Bleau y anime des séances de jardinage ainsi que des ateliers techniques suivant les thématiques que les participants souhaitent approfondir. Ville en vert a également une nutritionniste qui intervient au sein des jardins collectifs pour proposer des recettes aux participants et les conseiller sur la préparation des légumes cultivés.

À ces sept potagers urbains est en train de s’ajouter un projet de potagers libres que Ville en vert souhaite mettre au point dans des ensembles de grandes tours d’habitation disposant d’une cour. L’organisme fait actuellement de la mobilisation pour sonder les résidants de ces tours « qui n’ont pas un accès facile à des fruits et légumes frais » et qui seraient intéressés par l’installation de « smartboxes » pour faire de l’agriculture urbaine, à petite échelle pour commencer. « Il y a des blocs (NDLR : édifices à logements) comme cela où l’on a planté des arbustes fruitiers l’été dernier », raconte Mme Bleau.

À noter que la majorité des projets chapeautés par Ville en vert sont financés à même les subventions de l’organisme. Dans certains cas, une participation symbolique est également demandée aux participants pour un achat de semences pour la durée de la saison.

 

Favoriser la socialisation

 

« Les projets d’agriculture urbaine sont là pour compléter la provenance des fruits et légumes qui se retrouvent dans les assiettes des gens, mais c’est aussi pour faire participer la communauté dans des démarches collectives et citoyennes », fait valoir Marc Sardi.

En plus de favoriser la socialisation et de contribuer à « briser l’isolement », les initiatives d’agriculture urbaine visent également à montrer à leurs participants que cultiver ses fruits et légumes n’a rien d’irréalisable. « C’est montrer que l’agriculture urbaine, c’est très profitable et que c’est facile, ça ne coûte pas cher, tu n’as pas besoin de grands moyens pour le faire, surtout compte tenu de tout ce que ça va te rapporter en fruits et légumes.

C’est également accessible à tous. Il n’est pas nécessaire d’avoir un terrain ou de l’espace, mais un simple petit balcon », ajoute Véronique Bleau en notant que « cela fonctionne très bien » dans l’arrondissement, où l’agriculture urbaine connaît un grand intérêt du côté de la population et où « c’est en train de prendre beaucoup plus d’ampleur ».

 

Et les jardins communautaires?

 

Outre les jardins collectifs, l’agriculture urbaine peut également être pratiquée dans les jardins communautaires, ouverts depuis le 1er mai, cette année, et dont la gestion est assumée depuis 2002 par les arrondissements.

D’après le portail de la Ville, on en dénombre neuf dans Ahuntsic-Cartierville. « Il faut que tu t’inscrives. L’arrondissement te donne une parcelle de terre et cette parcelle de terre est à toi, c’est-à-dire que c’est toi qui t’en occupes, c’est toi qui décides ce que tu vas faire pousser dessus, c’est toi qui l’entretiens et qui fais la récolte. Tandis que dans le jardin collectif, il y a plusieurs parcelles et elles sont à tout le monde. Donc, s’il y a dix familles inscrites dans le jardin collectif et qu’il y a quinze parcelles, les quinze parcelles appartiennent aux dix familles », explique Mme Bleau lorsqu’interrogée sur la différence entre les deux types de jardins.

Les parcelles étant limitées en jardins communautaires et certaines étant déjà assignées de longue date, il est parfois possible que l’attente soit plus longue pour y trouver une place. D’après le portail de la Ville, l’inscription à la liste d’attente se fait par téléphone, et la priorité est accordée aux résidants de l’arrondissement. Une fois inscrits, « une cotisation minime est exigée par les comités de jardin ».

Côté jardins, potagers, et quelques autres initiatives privées et publiques, Ahuntsic-Cartierville a le vent dans les voiles. À quand les poules dans les jardins communautaires ici, comme ce sera bientôt le cas dans HoMa? Quant à l’arrondissement Rosemont-La-Petite-Patrie, il s’ouvrira, en 2016, sur une agriculture urbaine encore plus novatrice avec l’entretien des pelouses publiques par des moutons qui brouteront l’herbe des parcs, à titre expérimental et éducatif. On peut être d’accord ou non; il n’en reste pas moins que la volonté de nombreux citoyens s’exprime ainsi.

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