C’était mon Limoilou

Claude Cossette, La Quête, Québec, juin 2015

Cette fois-ci, j’ai décidé de parler au « je » au lieu de philosopher le nez en l’air. La façon d’appâter le lecteur, de le garder en haleine c’est, disent les journalistes, de faire du story telling. Dire story telling fait plus « technoconnaisseur », mais c’est la même chose que raconter une histoire, livrer un récit ou relater une anecdote.

 

« Né dans le Vieux »

 

Tout a commencé pour moi dans le Vieux-Limoilou. Mes grands-parents « immigrés » du Lac-Saint-Jean demeuraient sur la 4e Rue devant l’église. Mon père travaillait à la Quebec Stitchdown Shoe (devenue Grenico) sur la 3e Rue. Ma mère bossait chez le Nettoyeur Ferland (devenu Teinturerie française) sur la 3e Avenue. Un jour, Armand et Simonne se sont croisés et ce fut le grand amour.

Limoilou étant leur quartier préféré, ils ont loué un troisième étage sur la 11e Rue, au bout d’un escalier en colimaçon. C’est là que je suis né.

C’est dans la ruelle de la 11e que j’ai grandi. Que j’ai sucé les éclats de glaçons que le vendeur de cubes à glacières dégageait à coups de pic et lançait à la ribambelle d’enfants qui lui couraient après. C’est là que j’ai entendu les cris des gens de métiers ambulants. Le réparateur de parapluies faisant tinter sa cloche : digueding ding ding, digueding ding ding. Le cueilleur de chiffons criait : « Guenou… ou… ouiye ! » Le maraîcher scandait : « Ah! les patates, les belles patates, les grosses patates, les pata-a-a-tes ! »

L’hiver, les enfants, nous glissions sur les bancs de neige qui avaient été poussés sur le côté par la gratte tirée par un cheval. Arrivaient ensuite les équipes d’hommes qui dégageaient à la pelle les bornes-fontaines et emplissaient les immenses banneaux sur patins (tombereaux) tirés par des teams de chevaux qui soufflaient des nuages de vapeur.

 

Mon bicyk rouge fuchsia

 

Douze ou quinze ans plus tard, j’habitais sur la 12e Rue au moment où les tramways agonisaient sur la 1re Avenue. Cette artère était placardée d’immenses panneaux-réclame qui vantaient la cigarette Sweet Caporal et le Kik Cola et était piquetée à tous les coins de rue d’un commerce local : épicerie, lingerie, concessionnaire automobile, tabagie qui fournissait les enfants en gommes à mâcher Bazooka et en bonbons à une cenne.

C’est là que j’ai conquis mes premières envergures de liberté : sur mon bicyk rouge fuchsia, je partais des journées entières explorer le monde. Vers l’ouest, pour pêcher l’éperlan entre les goélettes du Saint-Laurent et côtoyer les débardeurs du Foulon qui déchargeaient les cargos. Vers le nord, pour traverser les champs et parvenir à l’abattoir de la Coop fédérée à Québec-Ouest (Vanier) où les bouchers tranchaient la carotide de ces pauvres cochons pendus aux crochets la tête en bas.

Plus rarement, parcourir le tranquille quartier Montcalm ou me rendre à la Plage Saint-Laurent, privée et gardiennée, où les petits bourgeois de Québec profitaient de leur chalet. C’est alors que j’ai compris qu’il y avait Limoilou-de-la-Basse-Ville et la « Haute Ville ». Et je me suis mis à réfléchir comme notre chantre limoulois Sylvain Lelièvre : « On rêvait d'un peu d'équilibre / Entre les pauvres et les nantis / Mais désormais pour être libre / Il faut la cote de crédit. »

 

Le Nouvo Limoilou

 

Je serai bientôt arrière-grand-père. Le Limoilou de ma naissance n’existe plus. Mais il existe un autre Limoilou. Un Nouvo Limoilou. C’est un Limoilou ô combien dynamique, riche, attrayant ! Oui, c’est un quartier dynamique. On y trouve tous les services : supermarchés, dépanneurs, boulangeries, boutiques, restaurants, hôpitaux et cliniques. La vie communautaire y est débordante : fleurissent de nombreux organismes communautaires, d'économie sociale, religieux.

C’est un milieu foisonnant de cultures, d’idées, d’initiatives. Québécois de multiples origines ethniques, adeptes d’étonnantes croyances ou incroyances et partisans de positions politiques contradictoires se côtoient dans l’harmonie. On y rencontre de vieux couples et de jeunes familles, des immigrés de fraîche date et des Québécois de souche, de jeunes professionnels tendance et des gens de petits métiers, et tous cohabitent dans cet espace partagé. Arbres et verdure font partie du quartier, dont le merveilleux parc de la rivière Saint-Charles et l’antique Domaine de Maizerets. Limoilou est redevenu attrayant, voire un tantinet tendance : le critique gastronomique du Times de Londres, Giles Coren, classe le bistro Soupe & Cie comme le meilleur parmi les cinq restaurants qu’il a visités à Québec. On sent la vie qui bat sous ses trottoirs, derrière les murs de ces traditionnels multi logements de brique rouge.

Et puis, je vais vous avouer : j’y ai trouvé l’Amour ! C’est que Limoilou est vivant. Humain. Il sera toujours « mon Limoilou ».

 

 

 

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