Printemps 2015 – La grève étudiante

Normand Gagnon, Autour de l’île, Île d’Orléans, mai 2015

On aura beau dire que la grève étudiante n’a pas décollé faute d’une large adhésion et en raison du flou des revendications, de son caractère anarchique et de certaines tactiques jugées contreproductives, il n’en reste pas moins que les étudiants ont été jusqu’ici à peu près les seuls, avec quelques groupes sociaux et environnementaux, à passer de la condamnation des politiques d’austérité à des gestes concrets de résistance dans la durée. Les grandes organisations syndicales se sont étrangement faites discrètes malgré des analyses de la situation sociale semblables en tous points.

S’il est vrai que quelques saccageurs ont encore une fois terni la contestation, il est aussi vrai que ceux-ci ont compris depuis longtemps que les médias seraient – malheureusement − insensibles à leur cause en l’absence de brasse-camarades. «Parlons-en en bien ou en mal, mais parlons-en!», semblent se dire certains d’entre eux.

L’absence ou la pauvreté des analyses du conflit par la plupart de ces médias et la sempiternelle mise en scène de vitres brisées semblent leur donner raison. Quant aux véritables casseurs, nous ne savons toujours pas qui ils sont et nous ne le saurons sans doute pas avant plusieurs décennies si l’on se fie à l’histoire des cinquante dernières années où, à plusieurs reprises, des corps policiers introduisaient des agitateurs stimulant la casse à l’intérieur des manifestations pour les discréditer. Soit dit en passant, de telles manœuvres policières de «perturbation» jusqu’ici illégales auront un caractère licite advenant l’adoption de la Loi C-51 par la Chambre des communes.

S’il est vrai que l’on ne peut saccager le bien public, il est vrai également que l’on ne peut répondre aux revendications étudiantes par le mépris («qu’est-ce qu’ils faisaient là, les étudiants?»), par la condescendance paternaliste («Si c’est fait [l’expulsion] pour deux ou trois personnes par jour, ça refroidirait les ardeurs de certains») ou par le déni («il n’y a pas d’austérité »); ou pire encore par une répression sélective, en ce sens qu’elle s’exerce surtout et avec une force disproportionnée auprès des jeunes, même quand les manifestations se déroulent dans un climat paisible et bon-enfant comme celles de mars, à Québec.

 

Un discours confus?

 

Étrange, en effet, qu’un discours soit qualifié de confus ou d’inconsistant du seul fait qu’il est issu des étudiants. Car leurs propos ne se distinguent en rien de ceux tenus par de nombreux intellectuels, artistes, universitaires, groupes sociaux et environnementalistes1 comme en témoignent nombre d’interventions publiques. Encore faut-il se donner la peine de leur laisser la parole et d’analyser leurs arguments d’autant plus qu’un «contre discours» exige des explications pour être compris, à cause justement de sa différence fondamentale avec les idées largement véhiculées. Mais au fait, que revendique, par exemple, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ)? Un véritable partage de la richesse collective passant notamment par un réinvestissement dans les services publics, les programmes sociaux, la culture et la vitalité des régions, la non-privatisation des services sociaux et de santé, l’arrêt des projets industriels «extractivistes» s’inscrivant dans une logique de dépossession de même que des projets pétroliers, l’amélioration des conditions de travail dans la fonction publique…

Larges, les revendications, mais pas du tout confuses, car il s’agit de réactions orientées précisément sur les choix politiques contestés et contestables du gouvernement du Québec. Si, au moment d’écrire ces lignes, le mouvement étudiant bat de l’aile, c’est sans doute qu’il a espéré rallier de larges secteurs de la population et les centrales syndicales − au premier chef concernées − qui ont peu répondu à son appel. La grève sociale contre l’austérité n’est pas, semble-t-il, pour aujourd’hui.

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