Trois chefs Innus à Londres

Guillaume Rosier, Le Trait d’union du Nord, Fermont, le 4 mai 2015

Le 16 avril dernier, trois chefs innus se sont invités à l'assemblée générale annuelle de Rio Tinto, afin d'interpeler les actionnaires sur le conflit qui oppose les communautés innues au géant minier depuis de nombreuses années. La délégation a notamment voulu mettre en lumière le fait que l'entreprise minière IOC, détenue majoritairement par Rio Tinto, extrait les ressources naturelles de leur territoire ancestral sans partager les profits avec les communautés.

Mike McKenzie, le chef de Uashat Mak Mani-Utenam, expliquait peu avant le départ : « Face à l'attitude déplorable de la compagnie minière, nous avons décidé d'interpeler directement les actionnaires de Rio Tinto. Nous voulons les informer que leur filiale ne respecte pas nos droits et notre titre ancestral, et que les opérations minières d'IOC sont loin de répondre aux critères et principes du développement durable que Rio Tinto affirme prôner. Dans un geste ultime de réconciliation, nous allons demander respect, justice et réparation aux actionnaires de Rio Tinto. »

À Londres, les chefs innus ont pu prendre la parole devant les actionnaires (voir encadré) et exposer directement leur requête au PDG de Rio Tinto, Sam Walsh.

 

Des décennies d'exploitation minière

 

Selon les Innus, le mégaprojet de la minière sur leur territoire comprend 20 mines maintenant abandonnées, 9 mines en activité, un chemin de fer, 3 barrages hydro-électriques ainsi que des installations portuaires. De 1954 à 1982, plusieurs mines de fer ont été exploitées par IOC dans la région de Schefferville.

Les Innus dénoncent tout d'abord le fait que la minière ne paye pas de loyer. « Toutes les entreprises qui souhaitent exploiter les ressources de notre territoire doivent obtenir notre consentement. De plus, elles se doivent de payer un loyer pour occuper notre territoire. Depuis plus de 60 ans, Rio Tinto (IOC) fait fi des droits des Innus et agit comme elle l'entend, en négligeant la moindre notion de respect à notre égard. Le temps est venu pour la minière de payer son loyer », a déclaré le Chef d'Ekuanitshit, Jean-Charles Piétacho.

Les Innus accusent également la minière d'avoir dévasté leur territoire de manière définitive, en laissant des terres et de l'eau contaminées, et d'avoir forcé l'éviction de familles de leur territoire natal tout en les dépossédant de ce qui était l'essence de leur mode de vie traditionnel.

 

Poursuites judiciaires

 

Après avoir cherché pendant quatre ans à négocier un accord à l'amiable avec Rio Tinto (IOC), les Innus ont lancé une procédure judiciaire à son encontre. Ils réclament au géant minier près de 900 millions de dollars de dommages et intérêts.

« Après des victoires judiciaires à la Cour supérieure du Québec et à la Cour d'appel du Québec qui confirment notre droit de poursuivre la minière IOC pour les torts qu'elle a causés au peuple innu, IOC cherche toujours à esquiver sa responsabilité plutôt que de trouver une solution et un dénouement honorables à cette situation. Pire encore, dans une ultime étape, la minière a tout récemment demandé à la Cour suprême du Canada de se saisir du dossier », ajoute le Chef de Matimekush-Lac John, Réal McKenzie.

 

Campagne « Pay the rent »

 

La mission des chefs innus en Europe s'inscrivait dans le cadre d'une campagne intitulée « Pay the rent », paie le loyer en français. Après Londres, ils se sont rendus à Paris du 18 au 20 avril pour participer à des activités privées et publiques.

À noter que ce n'est pas la première fois que le géant minier est confronté à des revendications de communautés autochtones. Par le passé, les habitants de l'ile de Bougainville dans l'océan Pacifique avaient trainé Rio Tinto en justice, l'accusant de génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité et discrimination raciale.

 

Déclaration des chefs Innus aux actionnaires

 

« Au nom de notre peuple, nous, les chefs de la Nation innue de Uashat Mak Mani-Utenam, de Ekuanitshit et de Matimekush-Lac John, avons traversé l'Atlantique afin de vous signifier comment vos opérations minières au Québec, Canada, ont une incidence sur notre territoire, notre peuple et notre culture. Depuis plus de 65 ans, sans aucun respect pour nos droits ancestraux, pourtant reconnus par les Nations Unies et la Constitution canadienne, vos entreprises ont exploité les ressources de notre territoire sans notre consentement et sans indemnisation. En conséquence, nous n'avons pas eu d'autre choix que d'entamer une procédure juridique. Vous devez savoir que, en ce moment même, Rio Tinto est face à une poursuite de 900 millions de dollars. En août 2014, au lieu de traiter avec nous, Rio Tinto a signé un accord de prestations avec des gens qui n'ont jamais vécu sur cette terre, notre terre; une décision honteuse pour tous les investisseurs qui ont accepté et soutenu cette décision.

Nous sommes venus ici en paix afin d'être reconnus comme les premiers propriétaires de ce beau territoire. Notre question est : À quand un accord de réconciliation entre Rio Tinto et nous, négocié et signé comme celui obtenu avec nos frères et sœurs de l'Australie? Quand allez-vous nous respecter avec le plus haut standard de l'industrie et le niveau de l'éthique que vous soutenez avoir? Vous exploitez toutes les ressources sans en partager les bénéfices avec nous, les enfants du Nitassinan. Depuis des décennies, notre peuple a été ignoré et traité comme un problème plutôt que comme un partenaire.

Notre message est clair : le temps est venu de payer le loyer aux véritables propriétaires du territoire : les Innus de Uashat Mak Mani-Utenam, Ekuanitshit et de Matimekush-Lac John. »

 

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