Quatre-vingt ans de service aux concitoyens

Gilbert Bournival, Le Stéphanois, Saint-Étienne-des-Grès, mai 2015

Quand vous voyez dans le village un homme de près 90 ans avec deux bâtons de marche, c’est peut-être Alban. Mon frère aîné que j’admire. Son secret de longévité : rechercher la paix et le bonheur des gens autour de lui.

Il a appris tout jeune de nos parents Rosaire et Marie Trudel, l’importance de la famille. D’abord sa famille avec frères et sœurs. Aîné d’une famille de douze, il aidait au magasin général et il prenait sa part de responsabilité des frères et sœurs à mesure de leur naissance et de leurs besoins de croissance. Il a servi de deuxième père à la plupart. Ensuite, sa famille avec Cécile Pruneau et ses enfants : François, Julie, Simon et les petits-enfants : Mathilde, Jeanne, Maude, Laurent. Enfin, la famille élargie de ses concitoyens, et ses familles ancestrales : Bournival et Trudel.

Alban fut à Saint-Étienne, un pionnier du jeu de balle. De 8 à 15 ans, la cour derrière la maison servait de terrain de balle. Son père Rosaire a dû remplacer bien des vitres de la cuisine d’été. Les jeunes du voisinage venaient y faire des parties avec des palettes et des balles de caoutchouc. Le poteau de la rue du couvent servait de premier but, (il passait deux autos et un cheval par jour) et le tas de fumier servait de 3e but. Ce fut pour Alban, l’occasion d’un apprentissage d’organisateur et de chef de file.

Plus tard, il demande au curé Lacerte d’inviter en chaire les gars des rangs à jouer à la balle-molle. Les inscriptions lui permettent d’organiser quatre clubs de balle-molle avec un calendrier de joutes. Il forme un Club des loisirs et il demande à la municipalité d’investir dans un terrain pour la balle. La location d’un champ de pacage à vaches suffit pour commencer.

Plus tard, ça sera l’organisation d’un club de baseball faisant partie de la Ligue intermédiaire du Nord et il emprunte 500 $ pour acheter des costumes. L’année suivante, en 1948, ces costumes serviront aux premiers Royaux de Saint-Étienne dans la Ligue rurale Albert-Gaucher. Alban aime jouer même s’il ne fut jamais expert ni vedette dans un sport. Il est toujours partant comme bénévole, avant les parties pour ramasser les bouses de vache ou passer la gratte sur le terrain. Généreux, aimant l’entraide et la solidarité, il s’entoure de citoyens comme lui. Parmi les plus proches, son ami et confident Armand Bellemare et des membres de la famille Milette, Jean-Marc, Laurent, Gaby.

Toujours intéressé à apprendre et à mieux servir, après le cours commercial, Alban a appris de son père le commerce, la vente jusqu’à la vente d’habits sur mesure pour homme. Il a suivi plusieurs cours, les uns par correspondance : cours de chaussures pour savoir les ajuster aux pieds des acheteurs, cours de vente pendant deux ans; d’autres cours en groupe : cours de Dale Carnegie, cours de finances et placements qui l’a amené à fonder un Club de placements pour initier des Stéphanois à s’intéresser aux placements financiers.

Sa relation avec les Stéphanois a commencé tôt. À 10 ans, il faisait la livraison à pied, parfois avec un chien de traîneau, et plus tard, à 12 ans, en hiver avec un cheval, en été en camion. En ce temps-là, il suffisait d’avoir les jambes assez longues pour rejoindre les pédales et, autant que possible, voir un peu la route. Après ses études commerciales à Berthierville, il travaille au magasin et remplace Rosaire sur la « ronne ». Les lundis et jeudis à La Gabelle, les mardis en bas du village jusqu’à la gare de Marchand, les mercredis en haut du village jusqu’à la presqu’île des Grès. Le matin avec son calepin de factures, il frappait aux maisons pour prendre les commandes, l’après-midi il revenait porter à chacun sa commande et parfois se faire payer. Des hommes venaient s’habiller, se chausser « chez Rosaire », souvent à l’automne, avant de monter dans le bois pour l’hiver. Alban les servait et à l’occasion, marquait le montant sur une facture. Aussi s’ajoutait une demande : « Si ma femme a besoin marque-le. Je te paierai en descendant du bois au printemps. » Connu de la plupart des Stéphanois, il connaissait presque tout le monde. Source de référence pour les étrangers, on venait régulièrement au magasin pour savoir où un tel restait, ce qu’il faisait, etc. Un téléphone rural à manivelle permettait à des gens de l’extérieur d’appeler pour demander à parler à des voisins ou aller chercher le médecin, le curé, ou signaler un feu et courir aux pompiers.

À 20 ans, son père Rosaire lui construit un restaurant attenant au magasin avec une des premières télévisions en noir et blanc accrochée au fond près du plafond. Les soirs de lutte et de Séraphin, les citoyens s’entassent là, serrés debout, à regarder les émissions, en grand silence. Pour intéresser les jeunes, Alban mobilise des bénévoles et fait dans la cour arrière, une patinoire, ouverte à tous. L’eau d’arrosage est prise à la source Pellerin au bas de la côte de l’église et transportée dans un ancien baril de mélasse.

La patinoire suscite l’organisation d’un club de hockey amateur. Ça crée des visites aux clubs des paroisses environnantes. Musique et lumière le soir permettent l’apprentissage du patin pour quelques-uns et pour d’autres un peu de fantaisie et de fréquentations. Pour mieux servir le public, il ne craint pas les innovations et les agrandissements du magasin. En 1962, le magasin général devient épicerie. Il double sa surface en utilisant la bâtisse du restaurant et en refaisant la façade. Dans le langage populaire, le « chez Rosaire » se change peu à peu en « chez Alban ». Pour assurer un meilleur service à meilleur prix, il se joint à une compagnie de marchands qui gèrent leur propre entrepôt : Régal, Richelieu, Metro, etc. Son fils François poursuit sur la lancée d’innovations.

Chef de file, Alban s’engage à fond. En motoneige, il éprouve un grand plaisir à ouvrir des pistes nouvelles. Les sentiers battus et entretenus n’existaient pas. Audacieux, il fonce en avant et entraîne les autres. Il refuse de suivre s’il n’est pas d’accord avec les orientations. Autonome, il affirme avoir toujours fait ce qu’il aimait. Collaborant à l’organisation de la fête du centenaire de Saint-Étienne en 1959, il est chargé de l’organisation de la parade et il fait appel aux gens de tous les rangs de la paroisse. Chaque rang fournit son char allégorique. C’était une première! Fierté pour tous. Vingt-cinq années plus tard, il reprend une organisation de fêtes et une parade. Au 150e, on le nomme président d’honneur. Il n’a plus qu’à suivre.

À la Société d’histoire, avec sa conjointe Cécile, excellente compagne et partisane, il collabore à la publication et à la vente du livre « Souvenances ». Six ans plus tard, il prend la relance de la Société qu’il préside pendant une vingtaine d’années avec les principaux collaborateurs : Cécile, Armand, Madeleine Plourde, Henriette St-Pierre… Ils publient deux livres : « La Gabelle » et « Le baseball ». À 89 ans, il a entrepris un cours d’écriture à Trois Rivières et a commencé à rédiger son autobiographie. Pionnier de l’association des Bournival d’Amérique, il poursuit sans relâche depuis 15 ans les traces des Bournival répandus dans les Amériques et les traces des ancêtres Bournival, particulièrement celles du village Bournival aux 2e et 3e Rangs de Saint-Barnabé.

Il se dit gâté par la vie. Né à l’endroit où il vit actuellement, dans la maison construite par son père attenante au magasin, il se dit fier de sa famille et de Saint-Étienne. Sa générosité s’appuie sur la croyance qu’une fois les besoins essentiels de la vie assurés, pas nécessaire d’empiler. Les gens passent avant l’argent.

La démarche mal assurée, la parole hésitante, la tête dégarnie abritent un cœur, une pensée et des croyances qui font la valeur d’un homme et de son héritage.

 

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