Jean-Pierre Robichaud, Le Pont, Palmarolle, mai 2015
Je suis fondamentalement anticonformiste, et un tantinet indiscipliné. Si j’étais un pneu, je serais toujours déjanté. Une peinture? Je serais sûrement hors du cadre. Un œuf? Je n’aurais probablement pas d’écaille… Le plus loin que je me rappelle, j’ai toujours voulu tâter l’inconnu, l’interdit.
Un œuf sans écaille est très difficile à manipuler. Il est insaisissable, il vous coule entre les doigts. Je suis comme ça, j’échappe à tout ce qui tente de me saisir. À prime abord, semblable à tous, mais indocile. Réfractaire, tout en étant quand même respectueux des autres. Chacun a tout de même droit à son identité propre. Depuis mon enfance, la plupart de ceux qui ont tenté de me mouler, à commencer par mes parents, ont tous immanquablement échoué. Dès mon jeune âge, j’avais décidé de me façonner moi-même.
Tais-toi et fais le beau
Le cadre rigide des années 50-60 m’étouffait; je me plaisais à le faire éclater. Quand je demandais pourquoi je devais faire ceci, obéir à cela, on me répondait plus souvent qu’autrement : « Parce qu’il le faut… » C’était la dernière réponse que je voulais entendre; elle m’incitait à faire ou à penser exactement le contraire. J’ai eu mon mai ’68 et mon octobre ’70. Ai-je parfois déplu ou dérangé mes parents ou mes maîtres? Si oui, je le regrette un peu. Mais je ne regretterai jamais de m’être permis de sortir du rang, d’explorer l’interdit. C’est ce qui m’a permis d’être ce que je suis.
Certes, ça m’a parfois coûté cher. Des instituteurs se sont complus à me faire doubler à quelques occasions. Mon père, quant à lui, n’appréciait pas toujours mon comportement délinquant et, pendant un temps, ça l’a éloigné de moi. Au collège, on m’a expulsé, deux fois plutôt qu’une. Encore aujourd’hui, je n’en peux plus des « patterns » qui tentent, par tous les moyens, de nous conditionner et de nous standardiser : les téléromans qui nous montrent plus souvent qu’autrement le côté irréel de la réalité, ou les comportements qu’ils voudraient qu’on adopte. Et la pub que je zappe toujours, car j’ai la désagréable impression qu’on tente de me vendre quelque chose dont je n’ai absolument pas besoin ou qu’on tente de me f… Suis le vent
En 47 ans sur le marché du travail, j’ai touché à trois carrières que j’ai, à chaque fois, menées avec professionnalisme et passion. Mais dès que je sentais que le métier commençait à me limiter, à m’étouffer, je prenais une autre direction.
J’en ai étourdi plus d’un; on me disait parfois girouette. Mais moi j’avais remarqué qu’une girouette, sur le toit, ça change souvent de direction, au gré du vent. Laisse-toi pousser par le vent que je me disais; il va t’emmener là où tu dois aller. J’ai toujours fait confiance au vent. Il ne m’a jamais déçu.
Maintenant à la retraite, je suis toujours le vent. Et le vent n’est jamais linéaire : en avant, en arrière, à gauche, à droite. Il tente toujours de disperser le troupeau qui, lui, résiste à quitter la quiétude du rang. C’est tellement plus facile et surtout sécurisant de suivre la masse. Mais que de belles découvertes à faire en prenant les chemins de travers, en visitant les recoins peu fréquentés, en explorant l’inconnu. Me connaissant, si un jour je dois entrer au ciel, ce sera probablement et discrètement, n’en déplaise à saint Pierre, par un soupirail. Et j’irai me jucher au-dessus de la masse, là-haut au jubé.