Cette grande fragilité sociale

Claude Leclerc, L’Itinéraire, Montréal, le 15 avril 2015

Au cours des 20 dernières années, le nombre de personnes itinérantes n'a cessé d'augmenter. Pour l'ensemble du Québec, les données font état de 30 000 itinérants, alors qu'on en comptait environ 12 000 il y a 20 ans.

Certes, ce sont des chiffres alarmants, mais au-delà de ces dures statistiques se cachent des hommes et des femmes en quête d'une denrée rare dans la rue : la dignité. Pour les intervenants sociaux qui travaillent au quotidien avec les personnes sans-abri, les statistiques reliées à l'itinérance ne veulent malheureusement pas dire grand-chose. Pourquoi ? Parce qu'il est devenu pratiquement impossible de définir clairement ce qu'est vraiment l'itinérance. On dénombre de plus en plus de jeunes, de femmes, d'immigrants et d'autochtones qui vivent dans la rue. Ils sont plus vieux… mais aussi plus jeunes ! À la sortie des centres jeunesse, le jour même de leur 18e anniversaire, ils se retrouvent tout simplement à la rue n'ayant d'autre alternative que de venir cogner aux portes des refuges déjà surpeuplés. Le manque de ressources est flagrant, et il est clair que les mesures mises sur pied par les différents paliers de gouvernement sont nettement insuffisantes. À titre d'exemple seulement, on évalue à plus de 6 000 le nombre de femmes en état d'itinérance dans le Grand Montréal et à moins de 500 les places d'hébergement pour y passer la nuit. Et avec les compressions annoncées dans le dernier budget Leitao pour la construction et la rénovation de logements sociaux, il est difficile d'espérer que la situation puisse s'améliorer au cours des prochaines années.

 

L'indifférence fait mal

 

On entend souvent dire que le visage de l'itinérance change, se diversifie, se complexifie et que le phénomène s'étend maintenant à toutes les banlieues et même aux régions les plus éloignées. Mais la réalité des personnes en situation de précarité extrême demeure inchangée : pauvreté, violence et indifférence. L'itinérance ne se résume plus au seul fait de se retrouver à la rue. Les sans-abri sont des personnes fragilisées et souffrantes en situation difficile, délaissées par leur famille et leur entourage. Ils vivent une rupture relationnelle et n'ont plus d'environnement social auquel s'identifier. Plus que tout, ils ont besoin de parler, de se raconter et d'être écoutés. Dans la rue, ils ont souffert de la faim et du froid, mais surtout de l'impitoyable indifférence de la société. Nous l'avons tous fait : baisser les yeux pour ne pas voir, par peur d'être confronté à notre propre ignorance.

Alors, la prochaine fois que vous entendrez cette phrase « Excuse mon ami, as-tu de la monnaie ?» Prenez deux secondes pour lever les yeux et posez-vous cette question : entre la tolérance, les préjugés et l'indifférence, où vous situez-vous ? Rappelez-vous qu'on ne naît pas itinérant, on le devient !

 

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