Contrer les stéréotypes

Alexandra Guellil, L’Itinéraire, Montréal, le 15 mars 2015

De nombreuses initiatives montréalaises favorisent le partage et l'échange culturel. Au-delà de celles intégrées à des évènements précis, comme le mois de l'histoire des Noirs ou le mois du créole, certains artistes, chorégraphes ou intervenants sociaux réalisent un travail quotidien, essentiellement avec la jeunesse, afin de bousculer les stigmates.

Teintés d'origines qui ne cadrent pas avec l'image du « Québécois de souche », certains jeunes ont un rapport complexe avec leur identité. C'est le constat de Christine Black, directrice du centre de jeunes l'Escale, situé à Montréal- Nord. Avant d'arriver au centre, explique-t-elle, «certains d'entre eux vivent entre deux univers, la maison puis l'extérieur. À la maison, tout est souvent en lien avec le pays d'origine et à l'extérieur, c'est comme un autre monde. Ils se retrouvent entre les deux sans savoir comment se positionner. » Cette réalité pousse l'équipe du centre à privilégier le dialogue par des activités qui favorisent « cette richesse culturelle. »

Christine Black revient sur l'importance du travail de sensibilisation à effectuer auprès des jeunes qui pensent ne pas avoir de projet de vie ou de rêves parce qu'ils sont des communautés culturelles ou parce qu'ils vivent à Montréal-Nord. Parmi leurs actions, les projets pédagogiques, la réalisation de vidéoclips ou même la création d'un Gala des bravos célébrant leurs accomplissements.

Ayant fait un constat similaire lorsqu'elle travaillait dans une maison de jeunes à Côtes-des-Neiges, BerekYah Yergeau a souhaité mettre en valeur l'importance de connaître ses origines et de les partager. En 2012, elle crée la fondation FRO, un organisme à but non lucratif qui propose un espace d'échanges entre les cultures par des rencontres artistiques ou pédagogiques. « Beaucoup de jeunes que je côtoyais ne trouvaient pas de raisons d'être fiers de leurs origines et je n'en comprenais pas les raisons. C'est aussi ça FRO, montrer que chaque communauté, chaque origine, chaque culture apporte un plus à l'humanité en favorisant l'échange et le partage. En priver les autres, c'est un peu comme en priver tout le monde», partage-t-elle.

 

Une identité figée ?

 

Pour Jenny Salgado, connue avec le groupe hip-hop Muzion, les jeunes d'aujourd'hui ont évolué dans leur rapport à leur identité. « Grâce au virtuel, ils ont accès à tout et à tout le monde, ce qui rend leur identité beaucoup plus universelle. Il y a quelque chose de génial là-dedans, mais d'un autre côté, le noyau identitaire a tendance à se perdre » explique-t-elle.

Née au Québec, l'artiste a vécu les cinq premières années de sa vie en Haïti avant de revenir à Montréal. Engagée, celle qui chante à la fois en joual, anglais et créole a toujours du mal à comprendre l'insistance de l'industrie culturelle québécoise à vouloir la classer parmi les musiques du monde. « Au Québec, beaucoup veulent que l'on reste dans une identité figée. Je suis née ici, la musique, le parler, le discours que j'amène sont profondément québécois. Si j'avais grandi en Haïti, ce serait différent » insiste-t-elle en précisant qu'une des réalités de l'industrie est que « le Québec a de la difficulté à se vendre ailleurs à cause de cette définition trop figée de ce que l'on a à offrir. »

Même constat pour la chorégraphe Rhodnie Désir qui s'implique dans différents projets pédagogiques liés à la quête identitaire et le mouvement qu'elle engendre. Plusieurs artistes issus de la diversité culturelle ou faisant quelque chose de différent vivent ce problème. « Ma danse s'inspire de la tradition dans un langage contemporain. Et les artistes comme moi se retrouvent un peu face à un mur. C'est dur parce qu'on fait fasse à des stéréotypes qui nous appauvrissent » explique-t-elle.

 

Ou une éducation perpétuelle ?

 

BerekYah sent que la diversité culturelle montréalaise n'est pas souvent mise en valeur. « Dans les médias ou l'industrie culturelle, c'est souvent les mêmes personnalités qui sont mises en avant, sans faire de place aux autres. » La jeune femme, originaire d'Haïti et adoptée par une famille québécoise, explique que cette absence contribue à ce que « beaucoup de personnes qui sont nées au Québec, qui ont grandi au Québec et qui sont Québécoises » ne s'y retrouvent pas.

Jenny Salgado estime pour sa part qu'il y a encore cette lacune au niveau de l'approche utilitaire de l'éducation québécoise. « On les forme à servir le marché économique d'aujourd'hui et demain sans aller profondément dans ce qu'ils sont, dans leurs talents, dans leur historique » conclut-elle. Rhodnie Désir travaille actuellement avec deux classes d'accueil de nouveaux arrivants à l'école secondaire Émile Legault. Elle leur a demandé de questionner leurs parents sur leurs origines. À l'aide des réponses, elle a créé une chorégraphie représentant sous différentes formes la migration, choisie ou subie. « Je voulais rendre hommage à ses migrants, connaître ce qui se passe d'un point de vue psychique dans le corps quand on est forcé de partir ou quand on choisit de le faire », raconte-t-elle.

Dans la classe, les jeunes s'applaudissent et se regardent curieusement. Ils tentent de comprendre leurs démarches en donnant une signification à leurs mouvements. Certains écoutent la trame sonore, réalisée sous fond de bruitages inspirant le voyage et de discours de leurs parents quand d'autres restent pensifs, intimidés sans doute, mais plus que jamais intéressés par leur parcours identitaire.

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