Histoire de pelle

Jean-Pierre Robichaud, Le Pont de Palmarolle, avril 2015

Êtes-vous tannés de pelleter vous-autres? Moi aussi! Depuis novembre, jusqu’à aujourd’hui, à raison de deux ou trois fois par semaine : au moins 40 sorties dans ce froid polaire où j’ai empoigné cette foutue pelle, et je l’ai poussée, poussée… Ça commence à faire! Tan-né!!

Et quand t’as tout gratté et que tu admires, exténué, les bras ballants, mais tout de même satisfait, toute cette neige montée de chaque côté de la cour, voilà-t-il pas qu’un grondement se fait entendre au loin. Tu tends l’oreille, puis tu fermes les yeux, essayant de ne pas imaginer la réalité de l’instant. «Merde, la charrue!» Et tu devines déjà ton entrée de cour à nouveau bloquée de cette neige lourde, compacte, que cette maudite charrue se fait toujours un plaisir de te laisser en cadeau. Et tu te demandes, en te grattant l’entrejambe (dans toutes les cultures, l’homme qui se gratte l’entrejambe est en train de se demander ce qu’il fait là), ce que justement tu fais là à matin.

Merde, c’est ce que je profère tout haut, par politesse. Mais mon non-dit est en train de faire le tour de l’église, à énumérer tout ce qu’il voit. J’ai oublié beaucoup de choses apprises dans ma vie : le latin, le grec, l’algèbre, la Saint-Valentin; mais, c’est drôle, le saint contenu d’une église est profondément imprégné dans mon subconscient. En regardant s’éloigner le mastodonte abhorré, masqué par une dense bourrasque de neige, je répète une deuxième fois la longue liste des objets qu’on m’a obstinément inculquée quand, tout jeune, je marchais au catéchisme. Je veux être sûr de ne pas en avoir oublié. Le bon vieux curé Fradette serait content que je me rappelle encore de ses enseignements.

Après avoir jeté un œil au monticule qui refermait mon entrée de cour, les bras encore ballants et endoloris, je me suis à nouveau gratté l’entrejambe, signe que j’étais en profonde réflexion. Puis j’ai regardé vers la porte, regardé à nouveau le monticule, la porte…et, abandonnant la pelle dret là, je suis rentré. Ma blonde m’a regardé, comme si j’étais un demeuré. Où j’en étais dans ma réflexion, j’admets que je devais avoir l’air un peu abruti. Dans ma tête, j’étais en train de troquer ma pelle à neige contre une pelle à sable. Savez cette petite pelle avec laquelle les enfants façonnent des châteaux de sable? Et justement, à ce moment-là, j’avais la folle envie de sauter par-dessus le monticule de neige poussé par la charrue et d’aller façonner des châteaux de sable.

Ma blonde, qui aime parfois me narguer, me lança : «La charrue t’a fait un beau cadeau?» La boutade me passa chaque côté. Puis c’est mon sourire qui l’intrigua. Avec le point d’interrogation qu’elle affichait dans le visage, je pense qu’elle me trouvait encore plus demeuré. Lentement, je me déshabillai, enlevai mes bottes, puis me coulai un espresso dont la première gorgée me brûla la langue.

« Tu sais, ma blonde, on a prévu partir pour le Sud fin avril», lui rappelai-je. « Eh! bien, en me grattant l’entrejambe tantôt, une idée m’est venue ». « On sait bien, toi les idées te viennent toujours de l’entrejambe ». Elle a cette façon de péter ma bulle… Mais qu’à cela ne tienne, je continuai : « On a de la neige plein la cour, par-dessus la tête et moi, plein le c…! Ben tanné de pelleter! Demain je sors le motorisé de la grange. On devance d’un mois notre départ », débitai-je aussi résolument que je pus.

Elle me fixa, les sourcils arqués, voulant s’assurer que je ne blaguais pas. « Et je ne blague pas », la rassurai-je aussitôt. Six jours plus tard, nous sommes en camping à Naples, Floride. Pas de neige, 32 chauds degrés. Et devinez ce qui m’est arrivé en me pointant dehors le premier matin? J’ai dû rebrousser chemin, fouiller pour dénicher ma petite pelle…à sable, puis ressortir et ramasser le caca de chien qui me narguait devant la porte.

 

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