Martine B. Côté, L’Itinéraire, Montréal, 1er mars 2015
Aujourd'hui, le nom d'Émilie Gamelin fait automatiquement penser à une place publique souvent utilisée comme lieu de rassemblement politique, aussi connue pour sa faune diversifiée et ses nuits agitées. Celle qui a vu son nom donné à ce lieu central montréalais a une histoire aussi fascinante qu'inspirante pour quiconque lutte contre la pauvreté. Émilie Tavernier-Gamelin a mené un combat quotidien pour soutenir les plus démunis, les malades, les personnes handicapées et les prisonniers politiques. Ne croyant pas à la notion de classes sociales, elle a côtoyé tous les milieux, créant ainsi un modèle d'entraide unique.
Émilie Tavernier est née à Montréal le 19 février 1800. Ses parents, comme la plupart des Canadiens-français du temps, vivent dans une précarité et dans le deuil quasi perpétuel : la mère d'Émilie accouchera de 15 enfants, dont neuf mourront en bas âge. Émilie n'a que quatre ans quand sa mère meurt. Très tôt, la petite fille montre un dévouement peu commun envers les plus démunis, elle qui ne vivait qu'avec quelques sous.
À l'âge de 23 ans, Émilie Tavernier épouse Jean-Baptiste Gamelin, un bourgeois de 50 ans dont la récente fortune lui permet de redistribuer sans souci. Le deuil semble toutefois imprimer la vie d'Émilie Gamelin : elle perd coup sur coup ses deux premiers enfants, le premier âgé de trois mois, le second de moins de quatre mois.
Après seulement quatre années de vie commune, Jean-Baptiste Gamelin meurt à son tour. Quelques mois plus tard, Madame Gamelin, en deuil de son mari, perd son troisième enfant, un bébé de 21 mois. Désormais, son quotidien sera consacré à l'entraide. L'énergie déployée à aider les plus vulnérables est à la hauteur des multiples chagrins de cette courageuse femme.
Toute sa vie, Émilie Gamelin s'occupa de trouver des maisons, parfois des recoins d'écoles ou de maisons privées pour y installer les personnes démunies qu'elle rencontre. La première maison qu'elle transforme en refuge voit le jour en 1830 et loge jusqu'à 20 femmes pauvres et malades, dont l'une âgée de 102 ans. À Montréal, en ces temps-là, on parlait de Madame Gamelin et de « ses vieilles ».
Chaque jour, elle doit trouver des provisions et de l'argent pour fournir soins et nourriture aux femmes qu'elle héberge. Elle organise des bazars, sollicite les dons et récolte les denrées de porte en porte. En 1836, elle sensibilise un riche homme d'affaires qui lui donne finalement une maison appelée la Maison Jaune. C'est ainsi que d'années en années, elle obtient des résidences pour les pauvres et les malades, de plus en plus nombreux vu la situation économique extrêmement difficile et l'épidémie de choléra qui fait des ravages.
L'année 1837 marque le début d'un climat politique tendu et les incarcérations arbitraires d'hommes engagés dans la Rébellion des Patriotes. Émilie Gamelin est très sensible à la situation de ces prisonniers politiques et leur rend visite presque quotidiennement. Elle apporte aux prisonniers du Pied-du-Courant des lettres de leur famille, de la nourriture et réussit même à faire entrer la fille de 13 ans d'un détenu, à qui on avait interdit toute visite.
En 1841, Monseigneur Bourget, alors évêque de Montréal, décide de donner aux bonnes œuvres d'Émilie Gamelin une structure religieuse qui prévaudra désormais sur la structure civile. À partir de ce jour, le travail de madame Gamelin relève de la juridiction de l'évêque. Il était pratique courante pour le clergé de prendre en charge l'administration d'œuvres laïques dans un but, disait-il « d'assurer leur permanence chrétienne». On suppose qu'elle décida de prononcer ses vœux en 1844 à la suite de ce changement de garde. En étant nommée Mère Supérieure, elle garda ainsi un certain rôle dans l'administration de ses Maisons, mais se buta tout de même souvent à des tentatives de limiter ses actions. Elle meurt du choléra à l'âge de 51 ans, laissant dans le deuil nombre de personnes vulnérables et de comparses dans sa lutte à la pauvreté.
Au final, Emilie Gamelin aura mis sur pied neuf maisons et multiplié les initiatives d'entraide, un travail qui a inspiré la création d'œuvres similaires à Longueuil, Laprairie et à Saint-Hyacinthe.