Isaac Gauthier, L’Itinéraire, Montréal, le 1er mars 2015
«L'inclusion sociale, pour moi, c'est que chacun ait en main les outils d'esprit critique nécessaire à l'inclusion au sein d'une société, au lieu de tenter d'intégrer des gens dans une société malade», estime Nadia Duguay, cofondatrice et codirectrice générale d'Exeko. La pétulante jeune femme croit au potentiel de chacun et met tout en œuvre pour le prouver.
Après s'être impliquée dans la grève étudiante de 2005, Nadia Duguay a développé un projet-pilote de partage philosophique avec des prisonniers. «Il y a une part de la philosophie qui vient selon moi de l'intuition et qui est accessible à tous», croit-elle, incluant les gens socialement marginalisés. Cette expérience d'échange intellectuel, sans contenu moralisateur, est le fondement de ce que sera l'organisme Exeko, inauguré en 2010.
Il ne faut pas être surpris si son nom ne vous dit rien : Nadia Duguay n'aime pas l'attention médiatique. «Il est très important pour moi de rester humble, ça vient de mes racines», explique-t-elle, visiblement mal à l'aise. Des racines qu'elle veut garder privées, même si elles sont inhérentes à son identité et son travail. Née dans une petite communauté de pêcheurs de la Gaspésie, Nadia Duguay raconte qu'il y existe un curieux mélange de résignation et de frustration envers les preneurs de décisions politiques. «On y vit une forme de tutelle où l'on a intégré l'idée que quelqu'un d'autre va prendre des décisions et s'exprimer à notre place». Le résultat de ses sentiments est une posture «d'exclusion et d'autoexclusion», soit un groupe qui refuse et se voit refuser une voix dans le discours public. Une situation inacceptable, soutient l'entrepreneure sociale.
D'égal à égal
Selon Nadia Duguay, Exeko fait de la médiation intellectuelle par l'entremise de l'élaboration «d'espaces de rencontre improbable où l'on se situe tous dans une présomption d'égalité». En des termes plus simples, elle crée un prétexte pour une rencontre sans jugement entre différents membres de la société. Cette idée transparaît dans le nom de l'organisme, du latin ex aequo, «d'égal à égal». Originalement, elle ne concevait pas que le projet prenne l'ampleur qu'il a aujourd'hui, avec plus de 150 ateliers de médiation à son actif depuis son inauguration.
Pourtant, ce travail est d'une «nécessité évidente» selon la cofondatrice, autant pour les gens marginalisés que pour le reste de la société. «Ce n'est pas dans la rue qu'il est difficile de faire comprendre que l'égalité intellectuelle existe, mais plutôt auprès du grand public», explique-t-elle, un peu découragée.
Un découragement qui ne s'améliore pas lorsqu'elle réfléchit sur la condition de la femme. Nadia Duguay ne mâche pas ses mots : selon elle, il y a une «présomption d'inégalité de l'intelligence des sexes construite par une société de mépris». Elle admet qu'elle ne se sent pas à l'aise et bien outillée pour commenter ce sujet en profondeur, estimant qu'elle a «une vision encore bien naïve de la situation». Néanmoins, elle conclut qu'il existe «une dynamique de hiérarchisation sociale posée sur la capacité intellectuelle et de leadership des femmes», un constat qui l'inquiète profondément. Il reste donc beaucoup de travail à faire avant d'arriver à une société inclusive.