Fille de joie affranchie

Véronik Desrochers, La Quête, Québec, mars 2015

Martine a 50 ans. Elle s’est prostituée presque toute sa vie. Franche et énergique, elle lance d’emblée qu’elle « se cherche beaucoup, mais [que] de ce temps-ci, elle se trouve des balises». L’une d’elles est le Projet Intervention Prostitution Québec (PIPQ).

 

Jeunesse houleuse

 

Agressée sexuellement lorsqu’elle avait 5 ans, Martine commence à se prostituer dès l’âge de 13 ans. « Je me sauvais du centre d’accueil, il fallait que je survive », dit-elle. À cette même époque, elle commence à danser dans des boîtes de nuit . « J’ai toujours voulu être une grande danseuse, mais mes parents n’avaient pas l’argent. J’ai associé la danse avec le ballet jazz. Dans la tête de Martine, ça sonnait comme ça », explique-t-elle.

Très tôt elle devient alcoolique et toxicomane. « La première personne que j’ai fréquentée n’était pas vraiment un modèle de vertu», s’esclaffe-t-elle, se rappelant des souvenirs. « Ça m’a amenée à consommer encore plus », poursuit- elle. Son père, alcoolique chronique, y est sans doute aussi pour quelque chose. Il lui a offert sa première bière en récompense pour l’achat d’une caisse de bière qu’elle est allée lui chercher.

 

Un métier qui sauve des mariages

 

Pour Martine la prostitution est un métier qui sauve des mariages. Elle ne se voit pas comme une victime et n’accepte la pitié de personne. Elle a toujours été maîtresse de ses actes. « Tu as le pouvoir de choisir, quand ça faisait pas mon affaire, je disais : “ Je suis désolée, c’est pas vous que j’attendais ”. »

Martine a toujours refusé de travailler sous les ordres de proxénètes ou de pimps. Ces individus la révoltent. Elle les considère comme des « loques humaines », des profiteurs. « C’est toi qui t’ouvres les jambes, qui t’ouvres la bouche, et tu vas donner à un autre ? Non merci ! […] Ça se sert de la faiblesse des alcooliques toxicomanes et des filles de joie ! », rage-t-elle. Par ailleurs, elle martèle que nous sommes tous une putain qui se prostitue d’une certaine façon : c’est plus caché, plus hypocrite. « Il n’y a pas juste des alcooliques toxicomanes qui ont peur de traverser le pont, il y a des madames qui sont dans le logis, qui sont soumises pour ne pas déplaire au monsieur. » Martine a fait de la prostitution son métier, mais ce n’est pas là qu’elle s’est perdue, c’est plutôt lorsqu’elle a commencé à consommer pour oublier. « Ce n’était plus une vie, j’étais en train de me perdre carrément. »

 

Nouveau départ (forcé)

 

En 2004, Martine est victime d’un grave accident de voiture : un moment décisif dans sa vie. « La vie m’a envoyé beaucoup de temps d’arrêt, mais j’écoutais pas », explique- t-elle. Cette fois-ci, toutefois, pouvant à peine se déplacer, elle n’a pu faire autrement que de s’arrêter. Par la suite, elle a continué un peu à se prostituer grâce à des annonces dans le journal. Aujourd’hui, elle se sent prête pour la retraite. « Je dois dire qu’il me reste trois personnes dans ma vie. Trois personnes que ça fait 15 ans, 20 ans, que ce sont mes clients. Après ça, je n’en reprendrai pas d’autres. »

 

Dénoncer la violence

 

Beaucoup de temps s’est écoulé avant que Martine, grande orgueilleuse, demande de l’aide au PIPQ, il y a environ 4 ans. « La première fois, j’ai dû arriver comme une bombe, mais c’est pas comme ça que ça fonctionne dans la vie. […] Depuis que je viens ici, et que je travaille sur moi, je me rends compte que je veux vivre. »

Martine a subi plusieurs épisodes de violence. « La dernière fois que c’est arrivé, j’ai fait arrêter la personne, sauf que ça a fait déborder ce que j’avais écrasé au fil des années.» Depuis cet événement, il y a deux ans, elle suit une thérapie. Martine affirme qu’elle aurait dû porter plainte avant. « La graine est semée, elle va sortir, mais il faut que tu t’arroses, comme une plante. On est des arbres. »
 

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