Maria Nangeh Mensah, intellectuelle de terrain

Gopesa Paquette, L’Itinéraire, Montréal, 1er mars 2015

Auteure, chercheuse, enseignante et organisatrice communautaire, la professeure à l'école de travail social de l'UQÀM, Maria Nengeh Mensah, travaille depuis 25 ans pour les droits des femmes marginalisées. Élevée par sa mère dans un quartier où relations abusives et consommation de drogues étaient courantes, elle a su voir les regards biaisés des autres comme autant de défis à relever et de pistes de recherche à explorer.

Depuis ces premières années à travailler de soir comme intervenante dans un centre d'hébergement pour femmes itinérantes, Mme Nengeh Mensah semble s'être donné pour but d'aider les marginalisés à se faire entendre. Prudente dans ces interactions avec les médias, elle reste soucieuse de ne pas parler à leur place. «Lors d'une rencontre du SPVM pour leur plan quinquennal de lutte contre l'exploitation sexuelle, il a fallu que je répète exactement ce qu'une travailleuse du sexe venait de leur dire pour que les policiers en tiennent compte, s'insurge Mme Nengeh-Mensah. Je leur ai dit qu'elle venait de dire la même chose. Il y a un problème si on continue à fonctionner comme ça.»

Au cours des nombreuses rencontres avec ces femmes, elle a vu comment elles n'avaient attendu personne pour s'organiser. «Je trouve ça très inspirant. Ça me fait mal de voir à quel point ces femmes-là étaient et sont encore rejetées pour des raisons vraiment irrationnelles, s'indigne-t-elle. Je me sens aussi concernée et si je peux participer à renforcer leur voix ou à amplifier ce qu'elles ont à dire, tant mieux.» Le mépris généralisé à leur encontre reste difficile à accepter, une stigmatisation que partagent les femmes porteuses du VIH et celles exerçant comme travailleuses du sexe.

 

Laisser sa place

 

Lorsqu'elle a commencé sa maîtrise en sexologie, il y a 25 ans, elle s'attendait à faire une dizaine d'entrevues avec des femmes sidéennes. Elle s'est rapidement retrouvée avec une cinquantaine de témoignages en promettant d'en faire bon usage. C'est la mesure de l'implication de Mme Nengeh Mensah.

Tout en poursuivant une maîtrise en sexologie, un doctorat en communications et ensuite une carrière académique au département de travail social de l'UQÀM, la chercheuse s'est impliquée avec Sida Bénévoles Montréal (ACCM), a participé à la fondation du Centre de Ressources et d'Intervention en Santé et Sexualité (CRISS) et a accompagné dans diverses fonctions l'organisme Stella, créé pour et par des travailleuses du sexe.

Dans les années 1990, le sida tue beaucoup : c'était avant les thérapies pharmaceutiques. La succession de décès dans son entourage a un impact émotionnel sur la chercheuse. «Des enterrements, des funéraires, des services, il y en avait presque un par mois, se rappelle-t-elle. Tu es là comme bénévole à faire le café et tu te rends compte que sa famille n'est pas là. J'ai trouvé ça très dur. C'est là que je me suis dit que je ne pouvais pas rester dans l'intervention, que j'avais besoin d'avoir un regard plus macro, de voir d'où vient ce manque de respect envers ces personnes.»

Une partie de ces recherches s'attarde à faciliter les analyses faites à la base, par les femmes mêmes qui sont les sujets des discours stigmatisant sur le travail du sexe. Un exemple de cette articulation des logiques militantes et intellectuelles fut l'organisation du Forum XXX, une rencontre internationale de travailleuses et travailleurs du sexe tenue à Montréal en 2005. «C'était supposé être une rencontre entre féministes et travailleuses du sexe, mais les femmes nous ont dit ‘'On ne veut pas rencontrer les féministes, on veut être entre nous''. Ce fut vraiment une leçon d'humilité, c'est ce qui me motive, chaque fois qu'une travailleuse du sexe se lève et prend parole. Même si ça veut dire que quand elle prend sa place, moi je débarque.

 

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