Jean-Claude Vézina, Le Haut-Saint-François, Cookshire-Eaton, le 14 janvier 2015
Quelque 150 personnes se sont donné rendez-vous au sous-sol de l'église Ste-Famille de Sherbrooke, dernièrement, pour voir les deux nouveaux films documentaires de Jacques Boutin, cinéaste-documentaliste, peintre animalier, auteur des textes et professeur de peinture. Le premier «L'étrange oiseau à plumes» traitait des dindons sauvages qui ont immigré dans le sud du Québec. Le second «L'Âme cerf» portait sur les cerfs de Virginie, à différencier des cerfs-mulets. Ces deux familles de cervidés ont, elles aussi, franchi, depuis des décennies, les frontières des États de la Nouvelle-Angleterre sous l'impulsion des grands chantiers forestiers. Pour l'occasion, M. Boutin a invité 32 de ses étudiants de Sherbrooke, East Angus, Weedon et Coaticook à exposer leurs toiles.
Très nerveux, M. Boutin avouait qu'il n'avait pas dormi depuis deux nuits. « J'ai toujours peur que le projecteur ne fonctionne pas, que le monde soit déçu de mes films », a-t-il osé confier. Pourtant, l'atmosphère dans la salle n'avait rien à voir avec les soirées de première de films où les critiques se massent pour démolir ou encenser le cinéaste et producteur. Au contraire ! On sentait que les spectateurs, qui, pour plusieurs, ont visionné la dizaine de réalisations animalières qu'il a conçues depuis des années, venaient là pour découvrir et apprécier ses nouveau-nés.
Pour produire ces longs métrages d'une heure, il lui aura fallu en tourner des courts pendant au moins trois ans pour en arriver à monter un scénario d'une heure. Immobile, camouflé, dans toutes sortes de conditions météorologiques, cet homme, qui connaît bien ses sujets, possède une patience incroyable. À l'occasion, il se fie à quelques amis qui auront identifié un site de nidification ou un ravage prometteur. Marc Vaillancourt, son voisin, et Pierre Roberge en sont de ces fidèles collaborateurs qui l'alimentent en renseignements et mêmes bouts de film. M. Boutin a tenu à souligner le travail de ses collègues, Serge Boutin, à la musique, et Jean-François Nolin, pour la narration. Guy Tremblay a animé la rencontre.
M. Boutin relatait qu'une journée d'hiver, alors qu'il avait vu un sujet intéressant, il s'était aventuré, chichement vêtu et chaussé, dans la neige profonde pour le poursuivre. En revenant à son automobile, il a constaté qu'il était tellement frigorifié qu'il a dû ramper pour l'atteindre. Ce genre d'incident, il pourrait en raconter à la tonne.
Les films du cinéaste sont très documentés. Celui sur les dindons sauvages, entre autres, nous en apprend long sur l'histoire du «Meleagris gallopavo», appellation se référant au coq «gallus» et au paon «pavo». Il remonte aussi à la mythologie grecque «Méléagre» pour ce qui est de son plumage. Réintroduit au Québec depuis 1980, cet oiseau possède une espérance de vie théorique de 12 ans. Il survit de deux à trois en milieu sylvestre et agraire. La femelle pond une douzaine d'œufs, mais le taux de mortalité est élevé attribuable aux prédateurs. La mère communique avec ses rejetons encore enfermés dans l'écaille, à quelques jours de l'éclosion, pour les inciter à briser leur coquille. Dès leur 3e semaine, ils volent et se perchent. La domestication des dindons sauvages remonterait à quelque 1 000 ans, nous apprenait M. Boutin. Sous les conquistadors espagnols, l'oiseau aurait été implanté en Europe. Le film contient des images spectaculaires de cet «aves galliformes», entre autres, celle d'un nid rempli d'œufs et d'autres montrant les poussins qui suivent leur génitrice, scènes rarissimes.
Le documentaire portant sur les cerfs possède lui aussi de grandes qualités. Bien que plus facile à découvrir dans notre région, les filmer n'a pas toujours été une sinécure. Il a exigé de M. Boutin d'être là au bon moment. Une scène particulière démontre la difficile cohabitation des chevreuils avec les automobilistes. Pris sur le vif, on en voit un traverser devant une auto dans une courbe qui semble prononcée. Pas de mal, cette fois?! Les recherches que le cinéaste a effectuées sur le sujet méritent d'être mentionnées, particulièrement en ce qui concerne la terminologie toujours efficace. Et que dire des images?!
M. Boutin annonce pour l'an prochain un nouveau film portant sur les papillons, une collaboration avec Jocelyn Huppé, entomologiste aguerri. « J'aime mieux ces papillons-là, que ceux que j'ai à l'estomac », a-t-il lancé à la blague.
Les toiles qu'ont présentées les élèves de M. Boutin brillaient par leur réalisme. On sentait que les instructions du maître ont vraiment servi. Les caractéristiques des animaux, des plantes ou des paysages étaient magnifiées par la luminosité sur laquelle ils ont dû bûcher âprement. C'était évident que la trentaine d'amateurs a profité des leçons de leur mentor. Outre les multiples détails apparaissant sur leurs chefs-d'œuvre, chacun s'était efforcé de jouer avec cette difficile conquête de l'art de peindre la lumière.