Christiane Gagné, le nouveau visage de la production de la fraise de l’île

Isabelle Harnois, Autour de l’île, Île d’Orléans, décembre 2014

Comme nous, les habitants de l’île d’Orléans, le savons : la production agricole n’est plus ce qu’elle était. En particulier, la culture de notre renommée fraise de l’île d’Orléans, trésor de notre agriculture et chouchou des consommateurs québécois, a rattrapé le siècle. Nous en avons rencontré une preuve vivante en la personne de madame Christiane Gagné, coordonnatrice administration et opérations à la Ferme Onésime Pouliot, de Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans.

Madame Gagné, native de Beauport, mais établie à l’île depuis 1996, était une toute jeune femme et une nouvelle maman lorsqu’elle fut embauchée comme manœuvre agricole à la ferme Jocelyn Roberge. Elle est véritablement ce qu’on appelle, en anglais, une « self-madewoman» puisqu’elle a bâti sa carrière à la force du poignet et à partir de la base. Elle a planté, sarclé, taillé et récolté, appris à conduire un tracteur avant de « passer » superviseur du travail aux champs. Dès 1999, elle a commencé à coordonner les tâches des travailleurs venus du Mexique et a appris, selon ses termes, un espagnol « de champ ». En 2006, M. Roberge décédait dans un accident et Christiane se retrouvait sans emploi… pour un mois. Elle fut alors recrutée par les frères Guy et Daniel Pouliot, diplômés universitaires, qui assurent la relève de leur père Onésime, maintenant âgé de 74 ans, et de sept générations de Pouliot et de leurs ancêtres Thivierge, sur leurs magnifiques terres de Saint-Jean.

Christiane ne connaît alors rien à la culture des fraises, puisque la ferme Roberge était spécialisée dans la culture des poivrons. Qu’à cela ne tienne, elle n’est pas de celles que le changement ou l’effort effraient : elle acquiert la formation et le permis de conducteur de classe 3, soit chauffeur de camion, et fait des livraisons de nuit à Boucherville notamment. Elle dirige les équipes de travailleurs mexicains dans les champs jusqu’à ce que la sophistication de l’industrie agricole vienne imposer aux producteurs de nouvelles tâches de nature administrative. En effet, toute une administration découle de la nécessité de se conformer aux normes de salubrité des installations, de santé et sécurité des travailleurs et de l’obligation de tenir les nombreux registres exigés.

Autrefois, les agriculteurs voyaient leurs activités ralentir durant l’hiver. Maintenant, ils font face à un fardeau administratif important que la saison d’hiver leur permet d’assumer en vue des audits et inspections de la CSST et de Canada Gap, notamment, dont les exigences vont des trappes à souris à la salubrité des toilettes. Comme le raconte Christiane, elle a ainsi commencé à travailler dans le bureau et, de fil en aiguille, elle en est arrivée à faire du recrutement, de la planification, du développement, de la formation. Et j’en passe.

 

Une entreprise phare moderne

 

En parallèle, la ferme est devenue une entreprise phare dans le secteur agricole. Elle emploie maintenant plus d’une centaine des travailleurs mexicains par année – probablement 138 en 2015 – entre avril et novembre, deux agronomes à temps plein, des stagiaires, etc. L’été, la ferme est une fourmilière et, pour ainsi dire, une immense famille. Sous la gouverne des frères Pouliot, assistés de Christiane avec qui ils forment maintenant une équipe efficace et bien rodée, l’exploitation agricole s’est transformée et se déploie sur une tout autre échelle que locale : les Pouliot vendent leurs fraises chez Provigo, Métro et IGA et leurs patates douces, une production mineure, mais prometteuse, chez IGA. La ferme de M. Onésime s’étend sur 154 hectares de culture, dont 60 en production, et les Pouliot seraient possiblement les troisièmes producteurs de fraises au Québec, ce qui signifie probablement, comme le remarque Guy Pouliot, au Canada, le Québec produisant 53 % des fraises au pays.

La mise en marché des petits fruits étant laissée aux producteurs, la ferme Pouliot participe à un regroupement d’importants producteurs de l’île : les Emmanuel Lemelin, Philippe Vaillancourt et François Gosselin. Petits fruits Orléans sert de guichet unique pour l’approvisionnement des grandes chaînes d’alimentation en petits fruits certifiés île d’Orléans.

Pareille expansion de l’industrie agricole implique l’utilisation intensive de nouvelles technologies et l’implantation d’outils électroniques qui auraient renversé nos ancêtres : les travailleurs de la ferme Pouliot ont maintenant des cartes à code-barre pour pouvoir sortir leur rendement à la récolte et des iPod dans les habitations pour entrer leurs heures de travail.

La productivité de chacun et de chaque champ est suivie de près et le déploiement des travailleurs réorganisé au fur et à mesure des priorités variables de la récolte. Christiane vous parlera avec enthousiasme et expertise des nouveaux logiciels et de leurs potentialités pour le développement de l’entreprise.

Enfin, un aspect du travail de Christiane mérite d’être raconté. Si, au début de sa carrière, les femmes manœuvres agricoles étaient rares, il y a de plus en plus de femmes dans l’industrie agricole d’aujourd’hui. Toutefois, l’emploi de travailleurs étrangers, peu familiers avec nos services publics et loin de leur famille, entraîne des responsabilités presque familiales pour les producteurs. Il faut dire que le taux de rétention de la main d’œuvre, à la Ferme Pouliot, demeure élevé et que jusqu’à cinq membres d’au moins trois familles y travaillent année après année. Ainsi, tout le monde sur la ferme parle espagnol. Il faut voir à ce que les services internet soient toujours disponibles et fonctionnels dans leurs quartiers, les conduire chez le médecin et le dentiste en cas de besoin, les assister dans certaines transactions bancaires, etc. Très souvent, ces travailleurs, tous masculins, se tourneront vers une femme pour régler une variété infinie de problèmes personnels.

Christiane est un peu la marraine de tous ces ouvriers venus de loin pour travailler – souvent des semaines de plus de soixante heures – sur l’exploitation agricole. Rares sont les employeurs qui voient ainsi à tous les aspects de la vie de leurs employés. Si vous demandez à Christiane Gagné quel aspect de son travail elle aime le plus, il n’est pas étonnant qu’elle réponde que c’est la complète absence de routine. Elle ne se rappelle pas la dernière fois où elle a fait dans une journée donnée ce qu’elle avait planifié de faire. Pour cette femme dynamique et polyvalente, l’ennui n’existe pas et le sentiment d’appartenance que lui procure le travail d’équipe avec Guy et Daniel Pouliot enrichit d’autant son travail très stimulant.

 

classé sous : Non classé