Requiem pour un morceau de patrimoine

Robert Martel, Autour de l’île, Île d’Orléans, décembre 2014

En introduction au palmarès des lauréats dévoilé dans Les Prix de l’Île 2014, on lit : « Le site patrimonial de l’île d’Orléans n’est pas un territoire ordinaire pour quiconque voulant réaliser un projet de construction ou de rénovation. En effet, les valeurs historique, architecturale, paysagère, agricole et naturelle sont essentielles à considérer dans toute intervention sur le territoire, que ce soit d’implanter une enseigne ou de construire une résidence. » Nous prenons bonne note ! Toutefois, il aurait fallu ajouter : « ou de la détruire »…

Justement, le 11 novembre dernier, JOUR DU SOUVENIR, en contournant la pointe de Sainte-Pétronille j’ai vu avec stupeur, comme d’autres témoins passant par-là, s’écrouler une demeure sous les coups d’un bélier mécanique. Personne ne s’y attendait. Pourquoi est-ce que j’en parle ?

D’abord parce que, depuis cent ans, cette maison s’inscrivait dans un bel alignement de résidences devant l’anse aux Canots : un héritage du grand siècle de villégiature qui fit du bout de l’île un lieu de vacances aussi prestigieux que convoité. Bref, dans un décor de verdure avec vue privilégiée sur Québec, un ensemble patrimonial typique à respecter et à conserver intact. Déjà que précédemment, sa voisine, un petit bijou de style Arts and Crafts, condamnée elle aussi au pic du démolisseur, s’était vu imposer au dernier moment un lifting qui, malgré des matériaux tout neufs, lui a conservé sa physionomie originelle.

Évidemment, c’est du faux ancien, mais il a bien fallu s’en contenter, faute d’avoir opté pour sa restauration. Car ça se restaure, une vieille maison, ça se rénove, ça peut même s’agrandir sans la défigurer : l’Association des amis et propriétaires des maisons anciennes du Québec (APMAQ) en aurait long à suggérer à ce chapitre.

 

S’informer avant de décider

 

De plus, la demeure qu’on vient de détruire avait sa propre histoire. Avant d’accorder un permis de démolition, si l’on s’était donné la peine de se renseigner (élément « essentiel à considérer »), on aurait appris que, construite en 1870 sur la terre d’un certain Jean Leclerc, dans le secteur ouest de Saint-Pierre, elle avait rempli la noble fonction de « maison d’école », accueillant aussi dans ses murs des enfants de Beaulieu, aujourd’huiSainte-Pétronille.

Par la suite mise aux enchères en 1913, son acquéreur l’avait déplacée jusqu’à l’anse aux Canots pour la convertir en résidence d’été. Son insertion parmi ses voisines venant enrichir la diversité de leur architecture, allait conférer un charme indéniable à cette harmonieuse cohabitation au cœur même du noyau villageois.

 

Un devoir de vigilance

 

Mais, dans les officines de notre île et les bureaux du ministère de la Culture, s’est-on soucié de telles considérations ? L’île d’Orléans est pourtant un « site patrimonial déclaré », donc à protéger. Dans Les Prix de l’Île 2014, on lit aussi : « La conservation du patrimoine est un enjeu de société et chaque propriétaire y joue un rôle. En effet, il n’est pas de la responsabilité unique du ministère de la Culture et des Communications et de la MRC de veiller à la transmission du patrimoine aux futures générations. »

Cela est tout à fait exact : les citoyens que nous sommes doivent être y être sensibilisés. Cependant, de leur côté, les hautes instances ont un rôle majeur à jouer relativement au patrimoine bâti : pas seulement pour sa transmission, mais d’abord, en amont, pour sa préservation.

Par exemple, dans le cas des maisons non entretenues, comment, jusqu’à ce jour, n’a-t-on pas trouvé moyen d’intervenir pour éviter leur dégradation ? Au cœur même de mon village, il y en a présentement trois, inoccupées, qui « se laissent aller » à moins qu’on ne les laisse aller. L’une d’elles ne passera sûrement pas l’hiver, tandis que les deux autres, centenaires, ont une valeur historique et, pour l’une d’elles, architecturale. Est-il acceptable de laisser dépérir en silence des morceaux de notre patrimoine bâti ?

Si les choses ne changent pas, peut-être sera-t-il à propos de proclamer un jour du Souvenir pour le patrimoine disparu.

 

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