Quartiers populaires : déserts littéraires?

Mahaut Fauquet, L’Itinéraire, Montréal, le 1er décembre 2014

La librairie jeunesse Lire, Créer, S'amuser (LSC), dans Mercier, ferme boutique. Les trois librairies autrefois situées sur Sainte-Catherine Est ont toutes disparues. Où se procure-t-on des livres dans les quartiers populaires de Montréal?

Il existe actuellement quatre librairies dans les quartiers Mercier-Hochelaga-Maisonneuve et un Renaud-Bray à Anjou. «C'est une mission assez difficile de s'établir dans les quartiers défavorisés pour les libraires, compte tenu des conditions commerciales. Mais il y a de la place pour ça, explique Benoit Allaire, conseiller en recherche en culture et communication à l'Institut de la statistique du Québec (ISQ). Ça nécessite un libraire de quartier pour bien connaitre les besoins de sa clientèle. Les librairies sont importantes, elles sont vues comme un moyen de diffusion de notre culture.»

Depuis la fin novembre, une nouvelle librairie tente l'aventure de vendre des livres dans Hochelaga. Sans même avoir fait d'études de marché, Serge Hudon, propriétaire de la boutique de jouets Bric-à-Brac sur la promenade Ontario, ouvre sa librairie en toute confiance, se basant sur les ventes de livres qu'il fait déjà dans son magasin. «Depuis cinq ans le quartier est en gros développement, la clientèle change et la section des livres n'est pas assez grande pour la demande que l'on a. » Son Bric-à-Brac Livres, situé juste à côté de la boutique de jouets, sera entièrement consacré à la jeunesse, de l'éducatif au divertissement, pour les 0 à 17 ans. La fermeture brutale de la LSC, établie sur Sherbrooke depuis une dizaine d'années, ne l'inquiète pas: « Tant mieux !

Les clients viendront chez moi, s'exclame- t-il avec enthousiasme. On est un commerce différent, on organise des soirées de lectures, de collages, des activités. On va pouvoir commander les livres pour mieux répondre à la demande des acheteurs. On veut suivre notre clientèle de près.»

 

La lecture, un loisir démodé ?

 

Aujourd'hui, face aux nombreux nouveaux moyens de divertissement, le livre perd du terrain. « La lecture en général est en diminution, rappelle M.Allaire. Les gens consacrent leur temps libre à un plus grand éventail d'activités qu'avant : les livres sont loin derrière le cinéma et la télévision, c'est une minorité de personnes qui en achètent.»

Les livres coûteraient-ils trop cher? Selon l'OCCQ, le prix moyen d'un livre, entre 28 $ et 30 $, est demeuré relativement stable depuis une dizaine d'années.« Nous nous battons cependant contre un mouvement de société qui veut de l'immédiateté et de la gratuité… alors que plusieurs divertissements sont gratuits, le livre a son prix », conclut Katherine Fafard, directrice de l'Association des Libraires du Québec (ALQ). Stimuler l'amour du livre

Afin d'insuffler le goût de la lecture aux personnes défavorisées, des démarches associatives ou autonomes fleurissent dans l'Est de l'île. Parmi elles, les « bibliothèques de rue », un club de lecture pour enfants organisé depuis trois ans par l'ATD Quart-Monde, se tient dans le parc Edmond-Hamelin (Hochelaga) une fois toutes les deux semaines.

«Les deux objectifs majeurs sont d'amener des livres, du savoir et de la culture dans des quartiers qui couvrent des situations de grande pauvreté et d'exclusion », explique David Régnier, volontaire international à l'ATD. Ouvrir une librairie n'est pas une vraie solution, selon lui. La bibliothèque d'Hochelaga, consacrée à la jeunesse, gratuite et accessible, non plus. «Il y a beaucoup d'obstacles à l'accès aux livres qui ne sont pas forcément dus à un manque de ressources. Ça ne se règle pas seulement avec une bibliothèque, peut-être encore moins avec une librairie ».

À travers cette démarche, l'ATD espère ouvrir les gens à la lecture et leur donner l'envie de lire. Ils misent ainsi sur la rencontre avec l'autre, prennent le temps de trouver le livre qui va permettre à un enfant de le lire du début à la fin, afin de provoquer un déclic.« C'est un travail de fourmis, une étape dans une construction beaucoup plus large qui vise à combattre la pauvreté en permettant d'accéder au savoir et à la culture. »

 

 

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