Hervé, le sculpteur rêveur

Johanne Bilodeau, L’Info, Saint-Élie-d'Orford, décembre 2014

Plonger dans le regard du «sculpteur rêveur» c'est entrer dans un univers où les rêves prennent forme, les idées se matérialisent en planètes et les possibilités s'orchestrent en un mouvement perpétuel. Homme- Johanne Bilodeau créateur, Hervé a la tête dans un doux nuage de vapeur d'eau d'érable. Les bras chargés de bûches destinées à être sculptées, il m'ouvre la porte de son atelier.

En 2013, Hervé Labruyère rencontre la sculpture ici, à Saint-Élie-d'Orford. Le merveilleux du paysage environnant regorgeant de matières et d'inspiration pour tout artiste, notre rêveur est conquis. Chez lui, arpentant sa toute petite érablière de la rue Carmen Lessard dont il vient de faire l'acquisition, notre bricoleur devient sculpteur.

L'enchantement du lieu, mais aussi sa fragilité font naître en Hervé le désir de donner forme à la sève qui bouillonne en lui. Le contact avec l'érable à sucre le propulse bien au-delà du végétal: il incarne toute une culture et un éventail de traditions qui ont forgé l'identité des Québécois.

La vulnérabilité des arbres de l'érablière touche particulièrement notre« sculpteur rêveur ». Une dure réalité s'impose à lui : le boisé est en mauvaise santé. Des dizaines d'érables rouges et d'érables à sucre montrent des signes d'affaiblissement, et par endroits la nouvelle génération est absente, les fougères formant de denses tapis. L'évidence n'est pas heureuse: les pluies acides ont modifié la composition du sol et nombre d'arbres ont subi un entaillage agressif dans le passé. Des recherches en acériculture lui apportent des pistes de solutions à long terme.

Préoccupé par la question de la gestion du territoire, Hervé choisit divers matériaux et les assemble en une première sculpture qui exprime son inquiétude. Il la  nomme « L'Érablière ». Sa femme lui lance le défi de l'exposer publiquement. Ce qu'il fait, en la présentant au salon d'automne de la ville de La Prairie. Au vernissage, on dévoile les gagnants de différents prix. Le boursier pour le premier prix dans la catégorie forme innovatrice est Hervé Labruyère!

Par la suite, il expose une sculpture intitulée« Dans la peau d'un autre» à Visa Art de Magog, ainsi que « Droit au cour » et « À cœur ouvert» au salon de Brossard. Ses sculptures ont toutes comme sujet l'érablière, et ont toutes une boîte de sirop d'érable intégrée dans une de leur partie.

Au printemps passé, notre « sculpteur rêveur» saute à pieds joints dans un pan de la tradition québécoise: la fabrication du sirop d'érable. Les arbres les plus vigoureux sont entaillés, les plus faibles utilisant les vertus de leur sève pour se fortifier. Les chaudières s'emplissent d'eau d'érable ; dans la cabane à sucre, le bois fendu nourrit un feu ardent qui la fera bouillir. L'expérience prend des allures de fête communautaire.

Petits et grands, voisins, famille et amis viennent donner un coup de main, humer l'odeur du sirop chaud (et y goûter avec du gin) ou prendre un bain de vapeur. Les longues soirées à faire bouillir sont l'occasion pour Hervé d'écouter Jérôme, mémoire vivante du savoir-faire québécois, qui partage avec lui les histoires des sucriers et qui lui prodigue de précieux conseils.

Ce faisant, c'est avec étonnement que notre Rêveur constate à quel point, pour les gens qui sont natifs de la région (de tout âge), tout ce qui tourne autour de la cabane à sucre fait partie intégrante de leur vie. Finalement, le premier Français que je connaisse à faire du sirop est heureux : des douze boîtes qu'il s'était fixé comme objectif il en a fait plus de cent! Les cadeaux de Noël qu'il enverra à sa famille sont déjà prêts!

Faire connaissance avec notre sculpteur, c'est aussi parler de son pays d'origine. À 28 ans, en 2002, Hervé emprunte la même route que nos ancêtres. À partir de la France, il traverse l'Atlantique pour venir s'établir au Québec. Sur l'épaule, son baluchon renferme ses rêves de petit garçon jouant à l'Indien, sa formation en mécanique industrielle et ses outils de sculpteur. Originaire de Lyon et « fan fini » de L'Olympique Lyonnais, équipe de soccer locale, il dit avoir été déposé sur un terrain de soccer peu de temps après sa naissance! Cela explique la motivation qui anime Hervé lorsque, l'été dernier, il s'implique comme l'entraîneur-bénévole d'une équipe de soccer locale à Saint-Élie. Il passe beaucoup d'heures avec les jeunes, partageant avec eux ses connaissances et courant derrière le ballon.

Il est si content de son expérience, qu'il ne serait pas étonnant de voir notre rêveur faire une prochaine sculpture en forme de ballon! Néo-québécois, mais plus Québécois que sa femme québécoise (c'est elle qui le dit) et leurs trois petites rêveuses, Hervé entretient un lien vivant avec la culture québécoise, il avoue se sentir près de la philosophie de vie des Québécois.

Fasciné par l'aviation et les véhicules, Hervé considère Armand Bombardier comme un modèle de savoir-faire et d'entrepreneuriat. Nos grands espaces naturels participent aussi à l'épanouissement de notre sculpteur de rêves qui a quitté Montréal et choisi Saint-Élie comme lieu de vie. Toutes ces choses marqueront certainement ses projets futurs … Pour l'instant, le « sculpteur rêveur» m'invite à entrer dans son atelier. Véritable monde ouvert sur la petite érablière enneigée, le lieu est calme, propice à la contemplation. Face à la fenêtre, installé derrière la table de travail, Hervé, gardien des érables, veille sur la forêt. Ses mains sont pourtant affairées. Elles palpent une nouvelle idée, s'amusent à en faire le tour, étirent ses limites. Un rêve sculpté prend peu à peu forme, rêve sucré né d'une rencontre entre un érable et son sculpteur. Près de la porte, plusieurs paires de skis sont déjà fartés. Tout à l'heure, elles serviront au sculpteur et à ses trois petites rêveuses dans une balade à travers l'érablière.
 

classé sous : Non classé