Nourrir les chevreuils, oui ou non ?

Richard Lauzon et Suzanne Bougie, Ski-se-Dit, Val-David, décembre 2014

Les chevreuils sont si mignons et attendrissants, alors pourquoi aborder ce sujet? Parce que, en dix ans, nous avons connu un été 2014 record en ce qui a trait au nombre de chevreuils et à leurs visites pratiquement quotidiennes sur nos terrains, alors qu’en 2012, nous n’avions vu qu’un chevreuil à quatre reprises durant toute l’année. Plates-bandes de vivaces et jardins potagers ont grandement souffert de cette situation, entre autres, dans notre voisinage pourtant au cœur du village, sans parler des crottes qu’il faut ramasser sur nos terrains!

Nous attribuons cette explosion du nombre de chevreuils et de la fréquence de leurs visites au fait que des voisins les nourrissent. Cette présence continuelle fait en sorte que ces animaux deviennent semi-domestiqués et occasionnent à tous les voisins des frais de toutes sortes pour protéger leurs végétaux, sans parler du temps et de l’énergie qu’il faut consacrer à cette protection.

Un nombre de plus en plus élevé de collisions entre les autos et ces charmants cervidés surviennent. Dans notre environnement magnifique entouré de forêts, il est maintenant beaucoup plus fréquent d’apercevoir des chevreuils même au cœur du village. Beaucoup de gens se plaignent de voir leurs fleurs broutées par ces gentils animaux. Et les carottes et pommes qu’on voit vendues en grosses poches chaque automne dans les dépanneurs et animaleries leur sont fournies par plusieurs villageois dans des auges devenues fort appétissantes. Or, cette diète très riche pour eux n’est pas des plus naturelles; si elle leur permet de passer l’hiver plus facilement, elle les fait aussi se reproduire de deux à quatre fois plus vite, selon des recherches poussées menées au Manitoba et en Colombie-Britannique. De la sorte, un nombre additionnel de chevreuils circulent dans nos rues, pas seulement dans le bois. Quand nous revenons de Sainte-Agathe par le chemin de la Rivière, nous devons toujours rouler très lentement et être aux aguets de crainte de frapper un chevreuil à qui il prendrait l’idée de traverser la chaussée en sautant, comme nous l’avons constaté à plusieurs reprises.

Est-il, en somme, plus bénéfique que désavantageux de les nourrir artificiellement, même l’hiver? Jake MacDonald, dans son article fouillé paru dans la revue Biosphère de novembre-décembre 2012, organe de la Fédération canadienne de la faune, répond NON. Pourquoi? Pour de très nombreuses raisons. En voici quelques-unes seulement. À Winnipeg, mais aussi dans plusieurs villes canadiennes, la situation est devenue catastrophique : une dizaine de collisions automobiles/chevreuils par semaine (400 collisions par année) provoquent de nombreux blessés chez les humains et morts d’animaux, une augmentation systématique de tireurs à l’arc et d’enclos d’abattage vise à en éliminer autant que possible, des coûts astronomiques sont imposés pour les confiner entre des clôtures ou les capturer et les remettre en forêt (500 $ par animal), une interdiction formelle de les nourrir est envisagée (amendes salées), etc. L’auteur est catégorique : « Nous tuons des cerfs par milliers sur nos routes, mais nous les aidons à se reproduire plus rapidement que nous les éliminons. »

Notre situation est loin d’être aussi dramatique, mais attendons-nous qu’elle s’aggrave au point de le devenir? Nous avons envahi leurs forêts en nous installant ici, ce qui devrait les repousser vers les bois plus profonds. Les attirer volontairement en les nourrissant ne leur rend pas service et à nous non plus, au total, malgré le charme indéniable de leur présence. À bien y penser, le faisons-nous pour eux ou pour… nous? Attendons-nous de vivre les inconvénients d’une telle pratique avant de réagir? Un salutaire principe de précaution pourrait nous prémunir contre beaucoup d’embêtements éventuels.

Côté pratico-pratique, voici deux trucs pouvant avoir une certaine efficacité pour ceux qui, bien sûr, ne nourrissent pas les chevreuils volontairement, mais sont néanmoins ennuyés de leur présence puisque ces gracieuses bêtes mangent allègrement leurs plantes comestibles et décoratives jusqu’au sol…

1) Arrosage avec œil magique – L’été, installez près des plates-bandes des tuyaux d’arrosage munis d’un œil magique qui détecte leur présence et les arrose quand ils s’approchent. Ça ne leur fait pas mal; ça les éloigne de jour comme de nuit, mais ça peut aussi vous arroser… si, un beau soir, vous revenez d’un party bien arrosé… et avez oublié de débrancher l’œil magique avant de partir!

2) Mixture pouvant faire fuir les chevreuils – Mélanger au mélangeur 1 tasse de lait, 1 œuf, 1 c. à soupe de Tabasco, 1 c. à soupe d’huile végétale, 1 c. à soupe de savon à vaisselle Sunlight et 10 gouttes d’huile de romarin et verser dans un gallon d’eau. Asperger les plantes au besoin (comme après une pluie abondante).

« … Et quand ça finit par partir, ça nous promet qu’ça va r’venir… et ça r’vient! » « La visite » – Lynda Lemay

En conclusion, nous craignons qu’en les attirant avec de la nourriture, le nombre de cervidés double d’année en année et que notre quartier résidentiel devienne un ravage beaucoup trop fréquenté. Vu qu’il vaut toujours mieux prévenir que guérir, nous comptons sur le sens civique de chacun de nos voisins pour que cesse cette pratique consistant à nourrir des chevreuils au cœur du village, d’autant plus que ces gentilles bêtes peuvent être porteuses de la tique du chevreuil, pouvant être associée à la maladie de Lyme qui, si elle est mal diagnostiquée et soignée, peut devenir dangereuse pour l’être humain! Nous espérons très sincèrement pouvoir régler ce problème entre voisins. Nous remercions à l’avance toutes les personnes concernées de leur bonne volonté et de leur compréhension.

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