David Suzuki au mont Kaaikop

Jocelyne Aird-Bélanger, Ski-se-Dit, Val-David, décembre 2014

Par une radieuse journée d’octobre, au centre l’Interval, sur le bord du lac Legault, une foule d’environ 300 personnes, dont quelques-unes de Val-David, s’était rassemblée pour voir et entendre le docteur David Suzuki, généticien célèbre pour sa promotion des sciences et son activisme écologique, grand défenseur de l’environnement depuis de longues années. Qui ne connaît sa fondation ou l’émission The Nature of Things? La Coalition pour la préservation du mont Kaaikop avait gagné, grâce à son travail, le prix coup de cœur de la Fondation Suzuki. Le mont Kaaikop faisait donc partie de la Tournée pancanadienne bleu Terre, la dernière du docteur David Suzuki, aujourd’hui âgé de 78 ans.

Une compagnie privée a obtenu du gouvernement, propriétaire du mont Kaaikop, un permis de coupe de bois intensive sur ce cap, autrefois nommé mont Legault. Cette haute montagne de 875 mètres, que seul le mont Tremblant dépasse dans les Laurentides, est complètement couverte de roc, ce qui lui a valu le nom de « chauve » ou « kaaikop » en mohawk. Si on y coupe les arbres qui ont mis d’innombrables années à croître, le couvert forestier ne se régénérera à peu près jamais. Cette situation inconcevable, dans un lieu encore à l’état naturel où tant de randonneurs se promènent, où les animaux vivent en paix le long du territoire mohawk de Tioweroton, a poussé des citoyens indignés à former la Coalition pour la préservation du mont Kaaikop. Ils veulent défendre ce lieu magnifique au sommet duquel on peut voir Tremblant au nord et par beau temps, à une centaine de kilomètres vers le sud, la ville de Montréal.

La Coalition a gagné une première bataille avec le soutien de la population et de la Municipalité de Sainte-Lucie, appuyée par d’autres municipalités de la région. Après avoir obtenu une injonction interlocutoire temporaire qui a bloqué la coupe de bois pour une période momentanée, on se prépare maintenant à aller défendre cette cause en cour. Une telle démarche se révèle très coûteuse en frais d’avocat et d’études de terrain, surtout que le ministère refuse de leur remettre les dossiers techniques nécessaires.

Toutes ces études doivent être reprises par la Coalition pour arriver à sauver le vieux mont silencieux et altier d’un sort aussi triste qu’irrécupérable. À la suite de la prestation d’une chorale dirigée par Annie Dufort, plusieurs personnalités locales, dont Serge Chénier, le maire de Sainte-Lucie, et la chef des Mohawks, Gina Deer, se sont adressées au public. La Caisse populaire de Sainte-Agathe a même donné un montant de 2 000 $ à la Coalition, ce qui, semble-t-il, est un fait très rare dans l’histoire de cette coopérative. Gina Deer nous a expliqué, en anglais, combien les

Premières Nations étaient contentes d’avoir été consultées pour une fois, surtout que la compagnie forestière n’a jamais cru bon d’aller leur parler… Leur manière de considérer la nature comme une alliée plutôt qu’une proie devrait en inspirer plus d’un. La participation des Amérindiens à cette belle rencontre a été vraiment appréciée et plusieurs souhaitaient que cela se produise plus souvent.

Après une courte introduction en français, le docteur Suzuki nous a parlé avec toute l’énergie et le charisme qu’on lui connaît. Il est reparti en hélicoptère, sous les applaudissements enthousiastes de la foule, pour aller survoler le mont Kaaikop et rencontrer le conseil municipal de Sainte-Lucie et les Mohawks sur leur territoire de chasse.

Voici, de mémoire, un résumé de son intervention prenante : « Je suis très impressionné de votre grand nombre ici aujourd’hui… Vous avez dû prier le Grand Manitou pour obtenir une si belle journée. Quand j’ai été invité par les Haïdas de la côte Ouest à venir les aider afin d’empêcher les grandes compagnies forestières de faire des coupes à blanc sur leur territoire, je suis allé camper avec ma famille dans leurs terres afin de mieux connaître les lieux. En ressortant de la forêt après quelques jours, nous avons vu arriver des hommes en complet et des femmes en talons hauts, et j’ai compris que c’étaient les grands patrons de ces compagnies de bois. Après de vives discussions avec eux, discussions où ils ont fini par jurer ma perte, j’ai réalisé que pour eux les  arbres n’étaient rien d’autre que des dollars sur pied.

Ils n’avaient aucune vision au-delà de la valeur économique des choses. Ils ne pensaient pas à l’avenir ni au sort de la Terre, ni à ceux des premiers peuples qui vivaient en ces lieux depuis des temps immémoriaux. Vous faites face à la même situation ici, au mont Kaaikop. J’ai beaucoup appris des Premières Nations. Pensez à ces gens du nord de la Colombie-Britannique qui refusent de signer des ententes qui leur rapporteraient des millions s’ils acceptaient que des pipelines passent sur leur territoire. Ils refusent, même s’ils n’ont pas de travail et qu’ils vivent durement parce qu’ils respectent la Terre et ne veulent pas risquer de la polluer à tout jamais. Ils ont compris que la Terre soutient leur culture, qu’elle doit être là pour leurs enfants, qu’elle est irremplaçable et qu’on ne peut pas tout acheter.

Continuez votre démarche pour sauver le mont Kaaikop pour vous et vos petits-enfants. Ma femme et moi remettons 2 000 $ à la Coalition pour sauver le mont Kaaikop afin d’aider à poursuivre vos démarches. Merci! » Je revoyais Jack Rabbit, il y a 40 ans, lors d’un des premiers articles que j’écrivais dans ce journal. Il est arrivé par le P’tit Train du Nord, qui fonctionnait encore à cette époque, et, du haut de ses 85 ans, il nous a invités à traverser les montagnes et les bois en ski de fond tout en faisant bien attention aux terrains privés et à la nature…

Même combat, même force, même exemple de défense de la nature qui nous porte tous… et qui a poussé un groupe de citoyens de Val-David à s’unir pour obtenir un parc protégé sur son territoire. On s’y est repris à deux fois en vingt-cinq ans et, après maintes luttes et démarches, le Parc régional de Val- David-Val-Morin est aujourd’hui une réalité appréciée de tous. La présence de David Suzuki et d’un grand nombre de citoyens engagés, âgés de quelques mois à plusieurs décennies, renforcera sûrement la Coalition et lui apportera le soutien nécessaire pour réussir à sauver le mont Kaaikop.

 

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