Alexandre Demers, Entrée libre, Sherbrooke, octobre 2014
La bière, c’est connu, possède un effet rassembleur incroyable. Pour preuve, regardez toutes ces vieilles publicités des brasseries commerciales où les gens se regroupent en famille et entre amis pour célébrer leur patrie et leur équipe de hockey autrefois gagnante. On ne se le cachera pas, au journal Entrée Libre, on aime la bière. Raison de plus pour aller participer au plus grand évènement de dégustation de bière en Estrie comme le Dégustabière les 3, 4 et 5 octobre derniers.
Samedi le 4 octobre. Le ciel grisonne. On se sent seul. On cherche à faire foisonner son imagination dans le but d’écrire un article ou une nouvelle littéraire. On cherche l’inspiration alors, pourquoi pas, on se dirige vers la bibliothèque Éva-Senécal. Des œuvres partout, des gens gravitent tout autour… hélas, l’inspiration ne vient pas. Le silence nous ankylose le cerveau. Besoin de café. Rien n’y fait. Tant pis ! Direction : la cathédrale St-Michel. On trouvera bien la voie là-bas.
Devant l’entrée du sous-sol de la cathédrale, où se déroule la deuxième édition du Dégustabière, des gens sont rassemblés pour accueillir les visiteurs. D’autres prennent l’air sous les petits chapiteaux extérieurs et dégustent le précieux liquide en socialisant et en initiant certains au palet breton. On découvre un jeu qui rappelle la pétanque, mais qui se joue avec de petits palets (ou rondelle) de fonte qu’on lance sur une planche de bois carrée en tentant de se rapprocher du maître (l’équivalent du cochonnet). Sous le couvert de l’anonymat, messieurs T et AJ ont initié notre journaliste à ce fascinant sport qui se pratique avec dextérité et patience autour d’une bonne bière, cigarette et jurons de circonstance. Après maintes tentatives pour battre lesdits lanceurs de palets plus expérimentés, on se décide enfin à entrer dans l’antre du malt.
Une expérience gustative unique
Le sous-sol de la cathédrale est rempli de visiteurs assoiffés. Le choix est là : 12 microbrasseries du Québec, dont 5 provenant uniquement Cantons-de-l’Est, combinées avec 9 chefs de Sherbrooke pour créer des mélanges de saveurs uniques. Le mot d’ordre de l’évènement : la collaboration entre les différents créateurs et chefs, entre les institutions de Sherbrooke et sa population. Voilà une collaboration réussie pour les membres d’une grande communauté bien ficelée depuis des années et qui partagent leur amour de la bonne bière.
Nicolas Ratthé, l’un des principaux organisateurs de l’évènement, personnifie bien cet esprit de communauté. Beaucoup de visiteurs le connaissent avant tout comme le propriétaire du Vent du Nord où ils reçoivent ses bons conseils sur les choix de bières et peuvent alors discuter de tout et de rien, comme dans toute bonne épicerie de quartier. En nous faufilant entre les centaines de visiteurs du Dégustabière pour suivre Nicolas, nous avons été témoins de ces liens : il salue ses clients et amis, discute longuement de l’évènement, puis passe à un autre groupe qu’il aborde, avant de réaliser pour la troisième fois qu’il cherchait avant tout à remplir son verre.
Le dimanche du blasphème
De retour le lendemain après-midi afin d’avoir plus de tranquillité pour rencontrer Jonathan Rondeau, un autre principal cerveau derrière le Dégustabière, on en profite encore une fois pour jouer au palet breton. Pas très longtemps cette fois, car les dégustations nous attendent.
D’entrée de jeu, Jonathan nous apporte un morceau de pain de seigle recouvert d’une bonne couche de fondue au poivre, gracieuseté de la Fromagerie de la Station. Le moment est alors idéal pour revenir sur les points principaux de sa conférence de la veille intitulée « Sherbrooke : Cité des bières. »
Questionné sur l’avenir de la bière en Estrie, il souligne l’importance que prend la bière, non seulement chez les brasseurs, mais aussi pour les restaurants ou bars qui, sans brasser eux-mêmes leurs bières, servent les produits locaux. L’esprit locavore prend ici son sens où non seulement on découvre les bières locales, servies en accord avec les menus des restaurants, mais qu’on peut aussi croiser un brasseur à la table d’à côté et discuter largement de nos goûts.
Quant à l’avenir de l’évènement : « On peut sortir de la cathédrale, mais on ne peut pas la quitter », lance Jonathan avec une brillante nuance au fond des yeux. « Les gens disent souvent avoir l’impression de voyager dans le temps lorsqu’ils entrent ici et voient le plafond voûté […] La cathédrale, c’était aussi le lieu de rassemblement par excellence pour la communauté. » Bref, pour reprendre ses mots, c’est l’emplacement idéal pour faire un petit évènement de dégustation, réalisé dans le respect du lieu, sans débordement ni débauche.
Pour la suite, nous verrons le Dégustabière faire des petits. Déjà, cet été sur au centre-ville à Bouffe ton centro, un kiosque offrait un accord du Kapzak et du Boquébière, afin de donner un avant-goût de la suite. Qui sait ? Peut-être qu’un jour nous verrons les bières locales envahir de plus gros évènements comme la Fête du Lac où les brasseries commerciales sont en vedette depuis des années.
D’ici là, on déguste. On mange. On boit un café au comptoir du Kaapeh bien installé près de l’entrée, avec vue sur les visiteurs avides de sensations. Une nouvelle lampée de bière et on découvre de nouvelles sensations. « Ce qui me passionne dans la bière, c’est que chaque gorgée est une expérience, poursuit Jonathan Rondeau. Tu prends la même bière, tu prends une gorgée, 5 minutes après elle goûtera pas pareil : soit parce que la température a changé, parce que tes sens ont été saturés d’une certaine molécule aromatique. Oups, tu découvres un autre goût parce que t’as pris une bouchée de quelque chose entre les deux gorgées. »