Décrire l’intolérable et l’intolérance

Valérie Lépine, Le Journal des citoyens, Prévost, le 16 octobre 2014

Yasmina Khadra, pseudonyme de Mohamed Moulessehoul, est né en 1955 au Sahara algérien. Pendant 36 ans, il a été officier de l’armée algérienne pour ensuite se consacrer entièrement à l’écriture. Il a pris un nom d’emprunt d’abord et avant tout pour pouvoir écrire sans autocensure lorsqu’il était encore militaire. L’auteur a choisi deux des prénoms de son épouse pour son nom de plume en hommage à celle-ci et pour souligner le courage qu’ont manifesté les femmes algériennes lors des nombreux troubles qui ont traversé le pays.

Dans son œuvre, composée de plus de 25 ouvrages, Yasmina Khadra s’attache souvent à décrire l’intolérance qui engendre violence et désespoir. Par exemple, dans sa trilogie qui regroupe les romans Les hirondelles de Kaboul (2002), L’attentat (2005) et Les sirènes de Bagdad (2006), le lecteur est plongé dans l’horreur des conflits qui ont encore cours en Afghanistan, en Israël et en Irak.

Les hirondelles de Kaboul fait le portrait de deux couples qui vivent tant bien que mal sous le régime taliban. Atiq travaille comme gardien de prison à Kaboul et souffre de plus en plus de la perte de sens qu’a engendrée l’avènement des politiques des extrémistes fondamentalistes. Sa femme, gravement malade, lui cause bien du souci, mais il ne peut se confier à ses amis puisque ceux-ci ne comprennent pas que l’on puisse avoir des sentiments pour une femme. Mohsen et Zunaira quant à eux forment un couple très uni et très instruit, mais qui a tout perdu durant la guerre et qui vit maintenant dans une masure qui risque de s’écrouler à tout instant.

Leur amour sera mis à rude épreuve puisqu’il ne peut s’épanouir dans Kaboul, devenu « l’antichambre de l’au-delà; une antichambre obscure où les repères sont falsifiés; un calvaire pudibond; une insoutenable latence observée dans la plus stricte intimité ».

Par son écriture efficace, recherchée et souvent teintée de lyrisme, Yasmina Khadra arrive à nous faire comprendre et surtout ressentir, comment les gens en sont réduits à survivre dans cette ville soumise à une chaleur et un climat politique insoutenables, comment une situation désespérée peut engendrer des gestes tout à fait contraires à ses propres valeurs, mais aussi comment l’amour est source d’espoir et de rédemption.

L’attentat, deuxième volet de la trilogie, raconte la quête d’un homme qui cherche à comprendre ce qui a pu pousser sa femme à accomplir l’impensable : elle a commis un attentat kamikaze dans un restaurant de Tel Aviv. Récipiendaire de nombreux prix littéraires, ce roman plonge le lecteur au cœur du conflit israélo-palestinien, un conflit qui perdure et qui semble sans issue. Quant au roman Les sirènes de Bagdad, il raconte la longue descente aux enfers d’un jeune bédouin irakien que rien ne prédestinait à la violence.

Khadra situe son intrigue durant la guerre d’Irak qui va perturber même les villages les plus reculés. Un jeune bédouin, un peu désœuvré depuis le début du conflit, est témoin de diverses atrocités, dont l’humiliation de son père par des soldats américains. Il décide alors de quitter son village et de rejoindre Bagdad pour tenter de venger l’honneur bafoué de son père. Ce jeune homme « condamné à laver l’affront dans le sang » finira par rencontrer ceux qui lui donneront l’occasion d’accomplir son destin qui le mènera tragiquement vers l’anéantissement.

 

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