Dix questions à Normand Baillargeon

Isabelle Noël, La Quête, Québec, octobre 2014

Fervent ambassadeur de la pensée critique et de l’éducation au Québec, Normand Baillargeon consacre sa vie à enseigner à ses lecteurs, auditeurs et étudiants comment discerner le vrai du faux. Passé maître dans l’art de débusquer les manipulations et tromperies dans les divers messages qui nous submergent, l’auteur du Petit cours d’autodéfense intellectuelle nous propose des outils pour affûter notre jugement.

LA QUÊTE : D’abord, qu’est-ce que la pensée critique ?

NORMAND BAILLARGEON : Il s’agit d’être critique de tout, de refuser les idées préconçues, et ne rien accepter. Il faut cependant la différencier de la critique négative : il ne s’agit pas d’être baveux, ni pointilleux. Je le vois plutôt comme le fait de passer au crible les idées, et de retenir celles qui ont de l’allure. C’est de faire l’effort d’essayer de trier les idées proposées pour distinguer le vrai du faux. J’aime beaucoup expression anglaise : appropriately moved by good reason. Pour moi, ça explique bien ce qu’est l’esprit critique : c’est de bien réagir devant un bon argument, et de changer son point de vue lorsque les faits avancés le réclament. C’est tout le contraire du dogmatisme, en fait.

LQ : Qu’est-ce qui distingue la pensée critique du simple chialage ?

NB : C’est simple : le chialage est le contraire de la pensée critique. Un penseur critique qui se fait soumettre de bons arguments change sa position.

LQ : Selon vous, peut-on développer son esprit critique ?

NB : Bien sûr ! Pour se faire, on peut explorer deux grandes avenues : Premièrement, il faut connaître les principes de pensée critique, afin de savoir repérer des mauvais raisonnements et les sophismes. On doit donc s’habituer à repérer les arguments solides. Mais on ne peut pas avoir une pensée critique sur un sujet qu’on ne connaît pas, d’où l’importance des connaissances générales et de la nécessité de les développer. La deuxième avenue à explorer pour développer son esprit critique est simplement de ne pas rester seul! Échanger, débattre et discuter sont d’excellents moyens de l’affûter.

LQ : Pourrait-on, par exemple, le développer à l’école ?

NB : Oui. Certains cours de philosophie se donnent aux enfants pour développer des penseurs critiques : il s’agit d’un ensemble de stratégies pour amener les enfants à savoir argumenter et discuter.

LQ : Croyez-vous en l'impact de vos livres tels que Le petit cours d'autodéfense intellectuelle? Avez-vous l'impression de contribuer au débat public et à faire de vos lecteurs des gens dotés d'un esprit critique plus aiguisé ?

NB : J’essaie ! Quand on fait des livres, ils circulent, on rencontre des lecteurs, et c’est formidable. C’est le cas du Petit cours d’auto-défense intellectuelle, qui a été traduit en dix langues. Cependant, après avoir été publié, le livre ne nous appartient plus, et on ne sait pas comment il va être lu et perçu.

LQ : Donc, quel serait le plus beau compliment qu'on puisse vous faire ?

NB : [Rires] Que je ne suis pas dogmatique. Je suis toujours prêt à changer d’idée !

LQ : Y a-t-il des sujets ou domaines où vous estimez que les Québécois manquent d'esprit critique?

NB : Beaucoup, et je m’inclus là-dedans! Collectivement, il y a une certaine ignorance de la population. Beaucoup de gens sont très peu capables en sciences et en mathématiques. Pourtant, la maîtrise de ces matières est indispensable au point de vue de l’esprit critique. Les gens se renseignent uniquement en lisant un journal et, au final, en savent peu sur le fonctionnement réel du monde. De plus, au Québec, 49 % de la population est analphabète fonctionnel, c’est-à-dire que près d’une personne sur deux a du mal à lire un texte simple, à en saisir le sens. Selon moi, si t’as pas envie de pleurer quand t’entends ça, rien ne te fait pleurer !

LQ : Concernant l’actualité, qu'est-ce qui vous frappe, vous pousse à vous interroger, vous indigne ou vous fait réfléchir ces temps-ci ?

NB : On devrait tous être catastrophés par le réchauffement climatique. Les gens ne sont pas au courant, mais le Canada est le chef de file dans le domaine, avec les sables bitumineux.

LQ : Qu’est-ce qui vous réjouit dans l’actualité dernièrement ?

NB : De voir que les gens réagissent et se battent. Les étudiants l’ont fait, et maintenant ce sont les employés municipaux, et ça a fonctionné : le gouvernement revient sur des ententes pour les régimes de retraite. Par contre, c’est désolant de voir que la propagande là-dessus est tellement forte que les gens en viennent à croire que l’ennemi, c’est le voisin pompier qui se bat pour sa retraite, ou l’étudiant pour ses frais de scolarité…

LQ : Quels sont vos prochains projets ?

NB : Je publierai à titre d’auteur deux livres cet automne : Une histoire philosophique de la pédagogie [Poètes de Brousse], et Chronique des années molles [Léméac], lequel est une sélection de textes publiés depuis un an ou deux sur tous les sujets qui m’intéressent.

 

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