Rencontre avec un homme d’exception

Pascal Alain, GRAFFICI, Gaspésie, octobre 2014

Il y a de ces rencontres imprévisibles où c’est le hasard qui mène le bal, comme celle du printemps dernier avec Paul-Émile Loubert, rencontré dans une chambre du troisième étage de l’hôpital de Maria. Hommage à mon coloc d’hôpital avec lequel j’ai passé quatre jours. Hommage à un bâtisseur. Hommage à monsieur Loubert, un homme d’exception.

J’ai aperçu M. Loubert pour la première fois dans le long corridor de l’hôpital. Il faisait de la marchette, comme on dit. À l’aube de ses 93 ans, il était droit et fier comme un chêne, et plus vite que moi sur la marchette… Sans le connaître, il imposait déjà le respect. Une force de la nature, comme on en voit de moins en moins. Quelques jours plus tard, on me transférait dans sa chambre. Il m’acceptait comme coloc, après que je me sois nommé et que j’aie répondu à la traditionnelle question : « c’est qui ton père ? ».

Après quelques échanges avec M. Loubert, j’apprends qu’il a fait partie des fameux arpenteurs de Maria, ceux-là mêmes qui ont contribué à cartographier le Québec moderne. Je l’imagine aisément dans les années 1940, raquettes aux pieds, dans le froid et la neige. Je le vois avec le même regard, la même détermination malgré les années qui lui ont pris sa jeunesse…

« Je suis allé arpenter pendant une vingtaine d’hivers. On partait autour de Noël et on revenait début avril. On prenait le train jusqu’à Saint-Félicien. Après on prenait l’avion jusqu’à Chibougamau. Arrivés là, on se rendait à l’ouvrage à pied. Des fois, on marchait deux jours », me raconte-t-il. « On sautait sur les raquettes », ajoute-t-il, le sourire aux lèvres.

M. Loubert et ses collègues arpentent avec minutie des milliers d’arpents de neige pour cartographier le Québec. « Ils se sont aperçus qu’il n’existait pas de cartes détaillées de la province. On s’est mis à mesurer pis faire le plan du Québec. On est venus bons sur la boussole, on étudiait les cartes l’été. On savait où on s’en allait. Des fois, y’en arrivait des nouveaux. Ils se croyaient bons! Y’étaient pas accoutumés, pis des fois ils se perdaient. Le soir, fallait aller les chercher », raconte M. Loubert.

Le campement et la cache de ravitaillement sont déplacés au rythme de la progression du travail de ligne. Tirer la ligne, comme on dit, exige un travail précis où chaque membre de l’équipe occupe un rôle essentiel. « Les arpenteurs nous disaient quoi faire, mais y’avait pas besoin de nous parler beaucoup. On avait des cartes, on mesurait les lacs, chaque recoin. Les “mireurs” partaient avec une longue baguette aussi loin que l’arpenteur pouvait les voir. Pis les bûcherons dégageaient la trail entre l’arpenteur pis la mire. Ça devient la ligne ! », raconte M. Loubert, comme s’il y était encore. Quand les conditions idéales s’y prêtaient, on pouvait tracer environ un mille de ligne par jour.

Des chaîneurs complétaient le travail en mesurant la distance exacte d’un point à un autre. Pas de tout repos comme métier ! « On couchait dans des tentes. On était 7-8 par équipe. On se chauffait avec un petit poêle de tôle, fallait ouvrir les portes. On gagnait un peu d’argent. Au début, on gagnait à peine 2 $ par jour. Pis, ça a augmenté. Ça nous faisait découvrir du pays », affirme M. Loubert. Sans réfléchir, je lui demande : « Avez-vous déjà croisé des ours ? » Poliment, il me répond : « Non. Y’a pas d’ours en hiver ! » Arpenteur quelques mois par année et cultivateur le reste du temps, M. Loubert évite l’enrôlement durant la Deuxième Guerre par son lien avec la terre.

 

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