L’avenir de la biodiversité du Québec

Camille Morin, Le Mouton NOIR, Rimouski, septembre 2014

Dominique Berteaux, professeur en écologie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biodiversité nordique à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), dirige depuis 2007 une vaste étude sur les effets des changements climatiques sur la biodiversité du Québec. Il a publié au printemps dernier, en collaboration avec Nicolas Casajus et Sylvie de Blois, Changements climatiques et biodiversité du Québec. Vers un nouveau patrimoine naturel.

 

Camille Morin – Qu’est-ce qui vous a incité à rédiger ce livre?

 

Dominique Berteaux – Grâce au projet CC-Bio sur les effets des changements climatiques, nous avons obtenu des résultats surprenants et beaucoup plus importants que ce que l’on anticipait. Nous avons découvert que la pression des changements climatiques allait avoir un effet très important sur la biodiversité du Québec. Selon moi, ces résultats ne devaient pas être publiés que dans des articles scientifiques en anglais, mais dans un format accessible à tous. C’est pourquoi nous avons écrit un livre en français qui présente des éléments techniques qui peuvent être compris par tout un chacun, par toutes les personnes qui ont un intérêt pour la nature en général et qui ne sont pas nécessairement des spécialistes en écologie; bref, par tous ceux qui s’intéressent aux changements climatiques et aux phénomènes planétaires qui nous touchent aussi au Québec.

 

C. M. – Quelles sont les principales conclusions auxquelles vous êtes arrivé?

 

D. B. – Le réchauffement du climat pendant le XXIe siècle va exercer une pression sur la répartition des espèces, sur la biodiversité et sur les écosystèmes beaucoup plus importante que ce que l’on croyait. Par cette forte pression de changement, les espèces vont être amenées à se déplacer vers le nord. Nous savons que certaines pourront le faire facilement contrairement à d’autres qui en seront incapables. Par exemple, le cardinal rouge et l’urubu à tête rouge, qu’on ne voyait pas au Québec il y a un siècle, sont en train de se déplacer vers le nord. L’urubu à tête rouge est maintenant présent au Bas-Saint-Laurent; pour le cardinal rouge, ce n’est qu’une question de temps. Cela illustre bien le phénomène de déplacement vers le nord. Par contre, d’autres espèces comme l’érable à sucre commencent à avoir des problèmes dans le sud de leur répartition géographique puisque le climat est devenu trop chaud. En général, on constate l’amélioration des conditions vers le nord et une détérioration vers le sud chez un assez grand nombre d’espèces.

 

C. M. – Comment peut-on prédire la distribution future des espèces?

 

D. B. – Nous utilisons la technique des niches climatiques, qui consiste à formuler de manière mathématique les conditions climatiques propices aux espèces. Nous combinons ces caractéristiques aux différents scénarios de changements climatiques pour voir où se retrouveront les conditions climatiques favorables aux espèces.

 

C. M. – Quelles espèces avez-vous étudiées?

 

D. B. – Environ 800 espèces : la presque totalité des espèces d’oiseaux et d’arbres du Québec, plusieurs espèces de plantes et les amphibiens.

 

C. M. – Comment le climat va-t-il changer?

 

D. B. – Le climat est en train de se réchauffer. Dans le courant du XXIe siècle, nous verrons une augmentation des températures de deux à quatre degrés même au Québec. Les conditions que nous avons actuellement à Montréal se retrouveront à Rimouski à la fin du siècle. Même si, entre Montréal et Rimouski, il y a seulement une différence de 2,5 degrés de moyenne annuelle, quand on se déplace de Montréal à Rimouski, on constate à quel point tout est différent : les forêts, l’agriculture, les jardins et le type de plantes que l’on peut cultiver. Cet exemple illustre combien deux degrés peuvent être d’une grande importance.

 

C. M. – De quelle façon la distribution des espèces va-t-elle changer?

 

D. B. – Les conditions climatiques favorables aux espèces vont monter vers le nord d’environ 500 kilomètres durant le XXIe siècle. Cela ne veut pas dire que toutes les espèces vont se déplacer de 500 kilomètres parce que plusieurs espèces comme les arbres n’ont pas la capacité de se déplacer, contrairement aux insectes, aux animaux et aux papillons. Il est donc plus juste de dire qu’il y a un changement potentiel vers le nord de l’ordre de plusieurs centaines de kilomètres. Mais ce qui va se réaliser va dépendre de plusieurs autres facteurs qui sont beaucoup plus difficiles à prévoir. Certaines espèces, comme beaucoup d’insectes, vont pouvoir s’adapter facilement en changeant leur répartition très rapidement. Par contre, étant donnée la rapidité du réchauffement, certaines espèces, surtout les plantes, n’auront pas cette capacité. Devrions-nous les transporter afin de faciliter leur déplacement? Cela soulève beaucoup de questions. Sur le site Web associé au livre, des milliers de cartes permettent de choisir une espèce et d’observer où elle pourrait se retrouver dans le futur. Cet outil rend concret le travail que nous avons fait puisqu’il permet aux gens de comprendre la distribution des espèces qui les intéressent.

 

C. M. – Comment aider les espèces à s’adapter?

 

D. B. – La première chose à faire est d’essayer de limiter les autres sources de stress sur les écosystèmes : ne pas les surexploiter, ne pas les polluer. Ensuite, il faut le plus possible permettre aux espèces de se déplacer par des corridors et des paysages perméables à l’intérieur desquels il leur est possible de circuler facilement. En ce sens, les aires protégées jouent un rôle important puisque ce sont des endroits où il y a moins de stress sur les écosystèmes.

 

C. M. – Y a-t-il des défis à s’engager dans un tel projet?

 

D. B. – Nous sommes à une époque où nous faisons face à des questions très complexes parce que mondiales. Ces questions sont certes intéressantes, mais une seule personne ne peut y répondre. Il faut donc apprendre à travailler en commun dans une ouverture d’esprit suffisante. Les décisions politiques sont très importantes. Bien que chacun puisse faire des gestes, sans leadership politique qui coordonne les actions, on se sent simplement impuissant. Malheureusement, au Canada, non seulement nous n’avons pas de leadership en ce sens, mais le gouvernement fédéral nuit aux efforts des citoyens. Il s’agit d’un des pires pays dans le monde pour la lutte contre les changements climatiques. Le gouvernement fédéral actuel essaie de ralentir ces efforts au profit de l’industrie pétrolière.

 

C. M. – Pourquoi l’accessibilité à la science est-elle importante?

 

D. B. – Nous avons de plus en plus de décisions de société à prendre qui mettent en jeu des éléments scientifiques. Pour que les citoyens aient une culture scientifique, il faut que les scientifiques fassent l’effort de communiquer leurs recherches, les rendent très accessibles. Il est essentiel que les gens comprennent les enjeux. De plus, l’effort de communication est aussi bénéfique aux scientifiques eux-mêmes parce que cela les oblige à être à l’écoute de la société.

 

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