La Baie Missisquoi se meurt

Pierre Lefrançois, Le Saint-Armand, Saint-Armand, septembre 2014

Les traitements qui lui sont prodigués ne suffisent pas à améliorer la qualité de ses eaux et des efforts supplémentaires devront être déployés pour en assurer la survie.

La baie Missisquoi fait l’objet d’une attention particulière dans le cadre de l’Entente de coopération en matière d’environnement relativement à la gestion du lac Champlain, une convention tripartite signée en 1988 par les gouvernements du Québec, de l’État de New York et de l’État du Vermont en conséquence de la détérioration sérieuse de la qualité de ses eaux. Le stade avancé d’eutrophisation de ce vaste plan d’eau s’observe en période estivale par la prolifération des cyanobactéries, ce qui a amené l’État du Vermont et le Québec à signer, le 26 août 2002, une entente sur la diminution de l’apport en phosphore dans laquelle les deux parties s’engageaient à le réduire d’environ 40 % dans la baie Missisquoi de sorte que, en 2016, la charge maximale soit de 97,2 tonnes métriques l’an (tm/an). On estime que le Québec est responsable de la charge de phosphore à 40 % et le Vermont, à 60 %. Pour atteindre l’objectif de l’entente, le Québec devait dont réduire l’apport en phosphore d’environ 27,3 tm/an et le Vermont de quelque 42,8 tm/an.

Malgré les efforts déployés (assainissement des eaux usées, changements dans les pratiques agricoles) il est évident, aujourd’hui, que l’objectif de cette entente ne sera pas atteint et qu’un cadre réglementaire contraignant devra être envisagé afin de remédier à la situation.

Rappelons que, en plus d’être un lieu de villégiature, la baie Missisquoi est la source d’eau potable qui alimente les citoyens de la Ville de Bedford, de même que ceux de Philipsburg (Saint-Armand) et de Stanbridge Station.

 

La gestion par bassin

 

Les experts estiment que, au Québec, plus de 80% des apports en phosphore se font sous forme diffuse, c’est-à-dire par égouttement du contenu des terres agricoles, des fosses septiques et des eaux usées vers la baie ou l’un ou l’autre des cours d’eau qui s’y jettent. La concertation et la mise en place d’une gestion intégrée de l’eau réunissant les acteurs, chercheurs et utilisateurs ont permis d’établir les priorités d’action tout en tenant compte des impacts sur les écosystèmes aquatiques.

La gestion intégrée de l’eau par bassin versant constitue un engagement majeur de la Politique nationale de l’eau qui a été adoptée à l’automne 2002 par le gouvernement du Québec. Elle vise en premier lieu la réforme de la gouvernance de l’eau. Selon le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, cette forme de gestion tient compte des enjeux tant locaux que régionaux et a pour fondement une approche écosystémique de la gestion des eaux par bassin versant.

L’acteur principal de cette gestion est l’organisme de bassin versant (OBV). On en compte 40 au Québec. L’Organisme de bassin versant de la baie Missisquoi (OBVBM) est celui qui est reconnu par le gouvernement du Québec comme le responsable de la gestion intégrée des eaux du bassin versant de la baie Missisquoi. Fondé en 1999, l’OBVBM réunit des acteurs impliqués dans tous les aspects de la gestion de l’eau dans le bassin versant. Son conseil d’administration est composé d’élus des municipalités régionales de comté (MRC) Haut-Richelieu, Brome-Missisquoi et Memphrémagog, de représentants des secteurs agricole, économique, touristique, communautaire ainsi que des citoyens. Des représentants du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) et du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) y siègent également, mais n’ont pas droit de vote.

 

Le bassin versant de la baie Missisquoi

 

Le bassin versant de la baie Missisquoi est un bassin transfrontalier, situé de part et d’autre de la frontière entre le Québec et le Vermont. Il s’agit du territoire qui draine les eaux de surface et les précipitations vers la baie Missisquoi, une immense étendue d’eau (de 70 km2 dont 46 km2 au Québec) peu profonde (moyenne 2,8 m) située à l’extrémité nord du lac Champlain.

C’est en réalité un sous-bassin versant du lac Champlain, qui est lui-même le lac de tête du bassin versant de la rivière Richelieu. Le bassin versant de la baie Missisquoi draine une superficie totale de 3101 km2, soit environ 15 % du bassin du lac Champlain. La partie située au Québec couvre 1311 km2 (42 %) et celle du Vermont, 1789 km2 (58 %). Au Québec, le bassin couvre 29 municipalités (des montagnes d’Eastman aux basses terres de Clarenceville), 4 MRC (Brome-Missisquoi 64 %, Memphrémagog 28,2 %, Haut-Richelieu 6,9 %, Val-Saint-François 0,4 %) et 2 régions administratives (Montérégie 71 %, Estrie 29 %).

Les trois principaux cours d’eau qui se déversent dans la baie Missisquoi sont la rivière Missisquoi, la rivière aux Brochets et la rivière de la Roche. Le territoire du bassin se divise ainsi en quatre principaux sous-bassins. Le plus grand est le sous-bassin de la rivière Missisquoi (2246 km2, soit l’équivalent de 72 % du territoire), dont le parcours se trouve presqu’exclusivement au Vermont, sauf pour un bref passage de Pot-ton (Highwater) à Sutton (Glen Sutton).

 

Les rivières Sutton et Missisquoi

 

Nord sont les principaux tributaires québécois de ce sous-bassin, dont le territoire est principalement occupé par la forêt (84 %) et les montagnes. On y trouve les lacs Parker, Orford, d’Argent, Libby, Long Pond et Trousers, et les étangs Fullerton, Sally et Sugar Loaf Pond.

 

Qu’en est-il de l’Armandie ?

 

Le territoire couvert par le journal Le Saint-Armand correspond aux sous-bassins des rivières aux Brochets et de la Roche. Le premier (656 km2) est principalement situé en sol québécois (85 %). Ses principaux tributaires sont le ruisseau Morpions, le ruisseau Groat et la rivière aux Brochets Nord. Bien qu’en amont, cette rivière coule en territoire agroforestier ; en aval de Stanbridge East, son territoire est largement dominé par l’agriculture (plus de 50 %), surtout des grandes cultures. On y trouve le lac Selby.

Quant à la rivière de la Roche, 66 % de son bassin (141 km2) se trouve au Vermont. Les principaux tributaires québécois sous-bassin sont les ruisseaux Swennen et Brandy, et son territoire est occupé à parts égales par la forêt (39 %) et l’agriculture (39 %).

Finalement, le sous-bassin de la baie Missisquoi comprend le drainage direct vers la baie ainsi que les bassins des ruisseaux Black, McFee, East Swamp, Beaver et Tipping. Ce sous-bassin est une vaste plaine inondable cultivée (30 % en agriculture) où l’on retrouve d’immenses milieux humides.

 

La qualité de l’eau

 

La qualité de l’eau dans le bassin versant de la baie Missisquoi est évaluée par 11 stations d’échantillonnage gérées par le MDDELCC : 6 dans le sous-bassin de la rivière aux Brochets (2 sur la rivière + ruisseaux Walbridge, Morpions, Ewing et Castor), 2 sur la rivière de la Roche (amont, aval), 2 sur la rivière Missisquoi (amont, aval) et 1 sur la rivière Sutton (aval). De plus, la MRC Memphrémagog prélève annuellement des échantillons dans les cours d’eau de son territoire tandis que, de leur côté, les associations de lac du bassin effectuent un certainsuivi de la qualité de l’eau de leurs lacs, ruisseaux et rivières.

Selon les données recueillies entre 2011 et 2013 dans le sousbassin de la rivière aux Brochets, on observe des dépassements des critères relatifs à la qualité de l’eau tant au niveau du phosphore, que de celui de l’azote total ou des matières en suspension dans plus de 60 % des échantillons prélevés, notamment dans les tributaires (plus de 80 % des échantillons indiquent des dépassements en phosphore) où les coliformes fécaux (plus de 50 % de dépassements) et les nitrates (33 à 48 % de dépassements) sont également en concentrations élevées.

C’est dans la rivière de la Roche que les dépassements en phosphore sont les plus élevés et ce, dans 100 % des échantillons, tandis que ceux de l’azote le sont dans plus de 80 % des cas. La qualité de l’eau est généralement bonne dans le sous-bassin de la rivière Missisquoi. On observe toutefois certains dépassements en phosphore (près de 50 %) dans la rivière Missisquoi et en coliformes fécaux (31 %) dans la rivière Sutton.

La baie Missisquoi est plus que jamais dans un état critique, c’es tà- dire hypereutrophe, la concentration moyenne en phosphore y ayant été de 65 ug/l en 2012, soit la plus élevée depuis qu’on enregistre ce paramètre, alors que le critère cible est de 25 ug/l. On y retrouve aussi des fleurs d’eau de cyanobactéries (algues bleues) chroniques.

Au lac Selby, les concentrations en phosphore s’améliorent, bien que les cyanobactéries y soient encore récurrentes. Quant aux lacs de l’Est du bassin, la qualité de leurs eaux est généralement bonne, si on exclut certains problèmes de cyanobactéries dans le lac Trousers, de coliformes fécaux au lac Libby, de même que de sédiments et de phosphore au lac Parker.

 

On ne touche pas à un cours d’eau même chez soi

 

Le fossé qui traverse votre propriété n’en est peut-être pas un. Il se pourrait en effet qu’il s’agisse d’un cours d’eau répertorié. S’il vous venait à l’idée d’entreprendre des travaux qui nécessitent une intervention dans son lit ou même à une distance de 10 à 15 mètres de ses rives, il serait avisé de consulter d’abord votre inspecteur municipal, histoire de vous éviter des ennuis potentiels.

Sachez qu’il existe déjà un cadre réglementaire sur la gestion de l’érosion et des eaux de surface, et que de nouvelles normes seront bientôt adoptées pour renforcer les dispositions de protection des bandes riveraines, pour conserver les sols sur les chantiers de construction et les terres agricoles, pour modifier les pratiques d’entretien et de conception des chemins, pour la construction en forte pente, pour gérer les eaux pluviales dans les milieux déjà bâtis et pour préserver les surfaces boisées et les milieux naturels. Des efforts sont demandés à tous les acteurs du milieu, y compris les propriétaires résidentiels, les agriculteurs, les industriels, les entrepreneurs, etc.

Ce qui signifie que, en cas d’infraction, il pourrait vous en coûter cher en tant que propriétaire : vous pourriez être passible d’une amende et vous voir dans l’obligation de réparer les dégâts occasionnés par votre intervention. Les amendes peuvent également viser l’entrepreneur engagé pour réaliser les travaux. Au sens de la loi québécoise, l’eau qui circule chez vous ne vous appartient pas : il s’agit d’un bien public. Le lit et les rives d’un cours d’eau ont beau vous appartenir en propre, ce n’est pas le cas de l’eau qui y circule. C’est pourquoi on ne peut pas faire n’importe quoi, n’importe quand et n’importe comment dans le lit ou sur les rives d’un cours d’eau. Simon Lajeunesse, coordonnateur régional des cours d’eau à la MRC de Brome-Missisquoi, conseille fortement aux propriétaires de consulter leur inspecteur municipal avant d’intervenir dans le lit ou sur les rives d’un cours d’eau, même s’ils considèrent qu’il s’agit simplement d’un fossé de drainage. Nous lui avons demandé si ces règlements étaient strictement appliqués et si des amendes étaient réellement infligées aux propriétaires en infraction. « Oui, il y a malheureusement des cas d’infraction et des amendes sont effectivement infligées, mais le pire pour les gens c’est lorsqu’ils se voient dans l’obligation de réparer les dégâts dans un cours laps de temps.

C’est souvent ce qui coûte le plus cher. Quand le mal est fait, il faut le réparer au plus vite… ». Nous lui avons demandé comment les autorités pouvaient savoir ce que vous faites chez vous? « Nous avons des gens qui patrouillent les cours d’eau, mais il arrive aussi que nous recevions des signalements de la part de voisins ou de randonneurs vigilants ». Nous voilà donc prévenus!

 

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