Les avions au-dessus d’Ahuntsic : une « patate chaude » politique

Mélanie Meloche-Holubowski, Journaldesvoisins.com, Montréal, août-septembre 2014

Certains diront que le bruit des avions fait désormais partie du quotidien des Ahuntsicois, mais n’empêche que de nombreux citoyens continuent de se battre pour réduire la pollution sonore. Mais qui est réellement responsable de ce dossier épineux? « Aveuglement volontaire », «patate chaude », voilà comment les groupes Les Pollués de Montréal-Trudeau et Citoyens pour une qualité de vie (CQV) qualifient ce dossier qui peine à trouver un politicien qui voudrait aller au combat.

Si les Pollués de Montréal-Trudeau existent depuis un peu plus d’un an, la bataille contre Aéroports de Montréal (ADM) dure depuis plus de 18 ans. Rappelons que la fermeture de l’aéroport de Mirabel a eu pour conséquence le transfert des vols au-dessus d’une grande partie de l’île de Montréal.

Citoyens pour une qualité de vie (CQV) a entamé des poursuites juridiques contre ADM à deux reprises, dans le passé. La première fois, CQV a voulu forcer ADM à se soumettre aux lois environnementales et arrêter le transfert des vols de Mirabel à l’aéroport Trudeau; la deuxième fois, le regroupement de citoyens a voulu entamer un recours collectif au nom des milliers de résidants affectés par le bruit et la pollution. Les deux fois, ils ont perdu leur bataille juridique, même si certains juges leur ont donné raison en première instance.

Pourtant, CQV et les Pollués de Montréal-Trudeau continuent de travailler dans l’ombre, convaincus qu’ils réussiront à prouver que le bruit et la pollution ont un effet pervers sur la qualité de vie des Montréalais. « La vérité va percer. J’y crois. On ne peut pas tolérer ça encore pendant 60 ans », dit Roger Trottier, de CQV, ingénieur de formation.

 

Plus ou moins d’avions?

 

ADM affirme que le nombre d’atterrissages et de décollages n’a pas augmenté significativement au cours des dernières années. Selon ADM, s’il y a des milliers de passagers supplémentaires qui prennent l’avion, les appareils sont plus gros, donc moins de vols sont nécessaires.

Christiane Beaulieu, vice-présidente, Affaires publiques et communications, et porte-parole d’Aéroports de Montréal (ADM), ajoute que certains avions plus bruyants ont été frappés d’interdiction d’atterrissage à Dorval-Trudeau, contribuant à une réduction du bruit de 60 à 65 % au cours des dernières années.

Jacques Roy, professeur titulaire à l’école des HEC et expert en gestion du transport, qui a publié un rapport sur la gestion des instances aéroportuaires au Canada, confirme ce fait, mais ajoute : «C’est clair que des avions plus gros déplacent plus d’air. C’est plus bruyant. » M. Roy prévient par ailleurs qu’il est inévitable que le nombre d’avions augmente au cours des prochaines années.

 

Couvre-feu : mythe ou réalité?

 

« Tout le monde pense qu’il y a un couvre-feu. Ce n’est pas vrai », dit Roger Trottier. En effet, ADM n’a pas de couvre-feu proprement dit. L’organisme applique certaines restrictions, comme l’interdiction de gros aéronefs entre 23 h et 6 h. Toutefois, ces restrictions peuvent s’assouplir au besoin. Les citoyens membres des Pollués et de CQV insistent pour dire que les restrictions ne sont pas du tout respectées.

En regardant sur le site Web d’ADM, on remarque que, le 27août 2014, sept atterrissages étaient prévus entre 23 h et minuit, et que huit autres devaient avoir lieu entre minuit et 1 h 40 du matin. Au chapitre des départs, le 28 août, on constate que cinq départs étaient programmés avant 6 h du matin. « Les vols qui décollent à 6 h doivent être au bout de la piste à 5 h 45. Donc, il y a déjà du bruit avant 6 h, fait valoir le professeur Roy. Quant aux vols prévus après minuit, s’il y a des retards, on leur permet d’atterrir», précise-t-il. De son côté, ADM se défend, ajoutant que seuls les petits avions peuvent décoller ou atterrir pendant la nuit. Les Pollués exige qu’un réel couvre-feu soit imposé.

 

L’angle scientifique

 

Les Pollués ne font plus confiance à la gestion du bruit des avions telle que faite par ADM. De plus, ils ont été largement déçus du contenu du rapport sur le bruit publié par la Direction de la santé publique de Montréal (DSP), au début de l’été. « La DSP admet qu’il y a un dépassement du seuil de bruit, régulièrement. La DSP admet aussi qu’il faudrait plus de données ponctuelles, puisque leurs données sont dérivées de formules mathématiques. Ce n’est pas mauvais, mais ce n’est pas précis », dit Pierre Lachapelle, des Pollués.

Selon Norman King, épidémiologiste à la DSP, l’organisme n’a pas utilisé les données d’ADM. « Les gens auraient pu dire que l’étude est biaisée. De cette façon, nous sommes complètement indépendants. » La DSP a dû acheter les données, mais M. King n’a pas voulu préciser où exactement. « Je vous assure que ça vient des autorités compétentes, mais ils ont voulu être extrêmement discrets. Il a fallu les acheter et ça a été une procédure compliquée. »

Selon le rapport de la DSP, les données sont basées sur des mouvements aériens, et à partir de ces mouvements aériens, l’organisme a pu estimer les niveaux de bruit. « Il s’agit d’une méthode reconnue scientifiquement, qui nous donne des données pour l’ensemble du territoire », affirme Norman King.

Pour sa part, Roger Trottier, qui a fait partie du comité d’étude de la DSP avant de démissionner en 2011, n’y va pas de main morte, qualifiant le rapport de « torchon scientifique ». « On voulait avoir les vraies données quant au bruit, précise Roger Trottier. Depuis le début, ADM a toujours refusé de dévoiler le nombre de décibels instantanés, ceux qui causent nuisance et dommages.» En outre, demande-t-il, pourquoi utiliser des modèles théoriques quand il existe des mesures réelles? Il rappelle que CQV avait demandé une étude sur les nuisances causées par les avions en 2008. « Pourquoi ont-ils pris autant de temps? », s’interroge-t-il.

 

Les données, l’arme des citoyens

 

La DSP note dans son rapport que le nombre d’avions a augmenté depuis 2009, rendant les chiffres quelque peu désuets. Mais d’autres mesures de bruit ont été prises en 2014 par la DSP, précise leur porte-parole, et seront dévoilées plus tard lorsqu’elles seront analysées.

Pour arriver à convaincre le gouvernement de la nécessité d’un couvre-feu et de pénalités en cas de non-respect, les Pollués de Montréal-Trudeau, quant à eux, ont installé récemment trois stations de mesure de bruit et récoltent des statistiques, qui sont disponibles sur le site du European Aircraft Noise Services. Les Pollués espèrent ainsi prouver que le bruit est une nuisance significative et ainsi forcer ADM à modifier ses pratiques. « C’est quand même un argument qui militera en faveur de l’atténuation des bruits, souligne le professeur Roy. Ça pourrait démontrer qu’il y un impact », ajoute-t-il.

Déjà, ADM conteste les chiffres que recueillent les Pollués. « On peut faire dire n’importe quoi aux chiffres, souvent la vice-présidente aux Affaires publiques et communications. Il faut des micros aux bons endroits, bien calibrés et lus par des professionnels ».

Elle ajoute qu’elle ne comprend pas pourquoi les Pollués refusent de croire qu’ADM fait tout ce qui est en son pouvoir pour réduire le bruit associé aux avions. « ADM et la DSP utilisent toutes sortes de données et des moyennes pour nous dire que c’est tolérable. Je ne suis pas une moyenne et un avion qui passe la nuit me réveille », réplique Michel Dion, résidant et membre du comité des Pollués. De son côté, Norman King affirme: « Les données sont tout à fait fiables pour donner un portrait et diriger les futurs comités qui prendront des décisions en ce sens. »

 

L’angle politique

 

Pour Roger Trotti er, le nerf de la guerre est de convaincre la classe politique d’intervenir. « C’est un peu peine perdue de convaincre ADM. Il serait plus efficace de faire des représentations auprès du gouvernement municipal et provincial. Chacun a une responsabilité là-dedans, même si juridiquement, c’est difficile », confirme le professeur Jacques Roy. Il ajoute que le fait d’avoir des données permettrait de présenter des arguments concrets pour forcer la main à ADM.

Dans ce but, Rogier Trottier insiste pour que soit créée une alliance municipale. M. Trottier s’inspire d’une alliance entre six municipalités situées en banlieue de Los Angeles. Ces municipalités ont payé pour la réalisation d’études qui ont forcé la Défense nationale à abandonner leur projet d’agrandir l’aéroport El Toro. « Ça a fonctionné là-bas, pourquoi pas ici? », fait-il valoir.

Récemment, les Pollués ont demandé au maire d’Ahuntsic-Cartierville d’agir au nom des citoyens. Ils disent être tombés sur une sourde oreille. « Le maire plaide l’impuissance. Il nous demande ce qu’on peut faire. Voyons! Ce n’est pas une réponse sérieuse de la part d’un élu », lance Pierre Lachapelle, des Pollués, lui-même ancien conseiller élu du quartier.

« Ce qui est arrivé à Lac-Mégantic, c’est de juridiction fédérale, mais toute une flopée de politiciens municipaux et provinciaux s’en sont mêlés. Même chose pour le pont Champlain. Si rien ne se passe pour l’aéroport Dorval-Trudeau et les avions, c’est parce que les gens en place ne veulent pas le faire », soutient Michel Dion des Pollués.

 

Les avions, une «patate chaude» Crier dans le désert?

 

Le maire de l’arrondissement, Pierre Gagnier, estime qu’il n’a pas de pouvoir politique dans ce dossier. « Même si je crie à mort, à quel point est-ce que je peux faire fléchir le système? », dit-il. Pourtant, il précise avoir fait des démarches auprès d’ADM en 1998 lorsque les vols d’avions au-dessus de Saraguay causaient des désagréments. « Finalement, ADM a fait changer le tracé des avions pour aller plus à l’est. Mais on a déplacé le problème d’un voisinage à l’autre », avoue-t-il.

Quant aux horaires d’ADM, qui incluent des vols entre 23 h et 6 h, il dit ne pas être au courant. « Vous m’apprenez quelque chose», affirme-t-il, ajoutant qu’il serait prêt à parler à ADM pour instaurer un réel couvre-feu. M. Gagnier a longtemps habité l’arrondissement, mais demeure depuis quelque temps à l’extérieur.

Les Pollués ont demandé à maintes reprises, sans succès, des rencontres avec ADM. Le maire Gagnier dit qu’il a récemment parlé avec des représentants d’ADM, sans préciser s’il a demandé que soit organisée une rencontre entre les Ahuntsicois et ADM.

Pour sa part, Christiane Beaulieu affirme qu’ADM a interpellé tous les conseils de ville. « Personne ne nous a dit qu’ils veulent qu’on rencontre les citoyens », soutient-elle. Le professeur Jacques Roy dénonce le fait qu’ADM manque d’imputabilité et possède trop de libertés en matière de gouvernance. « Le gouvernement a cru bien faire et leur a donné la gestion, mais ADM échappe à la loi d’accès à l’information et n’a pas de comptes à rendre. Le maire de Montréal ne pourrait pas prendre le téléphone et dicter des restrictions à ADM. Même le premier ministre du Québec et Ottawa n’ont pas d’autorité sur ADM », affirme-t-il.

 

Retour à Mirabel?

 

ADM affirme que la capacité de l’aéroport Trudeau suffira pour les 30 prochaines années. Le professeur Roy croit qu’ADM risque d’avoir des problèmes bien avant cela. Les pistes sont déjà presque au maximum de leur capacité et il faudrait exproprier des résidants du secteur de l’aéroport pour en ajouter. Un scénario peu probable, selon M. Roy.

L’imposition d’un couvre-feu, tel que réclamé par les groupes de pression, aurait un impact direct sur la capacité de l’aéroport et ADM serait confronté à un sérieux problème d’horaire. Certains membres des Pollués et CQV espèrent toujours un retour des avions à Mirabel. « Lorsque nous aurons prouvé les nuisances, ADM n’aura pas d’autre choix que de retourner à Mirabel », croit Roger Trottier.

Selon ADM, un retour à Mirabel est impossible. Quelle est donc l’alternative? Si l’aéroport est forcé de réduire le nombre de vols la nuit, il y a la possibilité qu’ADM redirige les plus petits appareils vers les aéroports de Saint-Hubert ou de Mascouche. « Ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les citoyens d’Ahuntsic. Ils vont voir encore plus de gros avions », dit Jacques Roy.

Enfin, ce qui est probable, selon Jacques Roy, c’est que les compagnies aériennes opteront de plus en plus pour l’aéroport de Toronto. Finalement, sans dire que l’aéroport Montréal-Trudeau est plus mal géré que les autres aéroports canadiens, le professeur Roy croit que, sans une meilleure planification à long terme, Montréal-Trudeau fera face à de nombreux problèmes au cours des prochaines années, et risque tout simplement de devenir un aéroport régional, au détriment de Montréal, et de la vitalité du  tourisme d’agrément et d’affaires.

 

 

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