L’itinérance après 50 ans

Laurence Laplante, L’Itinéraire, Montréal, 1er septembre 2014

Les itinérants ne sont pas tous des jeunes vagabonds, flanqués de leur chien et affalés contre les murs ou les palissades. La vérité, c'est que l'on trouve dans la rue une surpopulation de gens âgés en comparaison avec le reste de la société. Entre perdre son emploi à 55 ans et attendre sa pension de vieillesse à 65, il y a un grand trou noir dans lequel tombent de plus en plus de gens.

De plus en plus de gens âgés vivent dans la précarité. Plus souvent qu'on ne le croit, beaucoup d'entre eux se retrouvent à la rue. Depuis 1997, à l'instigation des Petits Frères des Pauvres, il existe l'organisme PAS de la rue, dont la mission est d'accueillir et de soutenir toute personne de 55 ans et plus, sans domicile fixe ou en situation de grave précarité, dans une perspective de stabilisation et d'insertion.

«Depuis le milieu des années 2000, le nombre de personnes admises en centre de jour a plus que doublé» commente Sébastien Payeur, directeur au PAS de la rue. L'organisme vient en aide aux personnes de 55 ans et plus en situation d'itinérance, vivant dans la précarité ou n'ayant pas de domicile fixe. M. Payeur se désole de constater que depuis le début des années 2000, «il y a eu une augmentation chaque année».

Même son de cloche du côté de ['Auberge Madeleine, un centre d'hébergement pour les femmes de 18 à 65 ans. Daphnée Quentin, intervenante au centre, observe le même phénomène: «Dans les dernières années, l'âge moyen des femmes que nous accueillons a vraiment augmenté. C'est un phénomène nouveau pour nous». Il arrive que des personnes soient itinérantes depuis longtemps. Il est plus récent d'apercevoir des gens d'âge avancé, n'ayant jamais été en situation d'itinérance, se retrouver à la rue. «De plus en plus de femmes tombent en situation d'itinérance assez tard dans leur vie», explique l'intervenante.

 

Intervenir différemment

 

Dahlia Namian est enseignante en sociologie à l'Université d'Ottawa et auteure de l'ouvrage Entre itinérance et fin de vie. Selon elle, plusieurs facteurs sont à l'origine du nombre croissant de personnes âgées dans la rue: la précarité de ces personnes et la précarisation de l'emploi. «Les personnes âgées, de manière générale, sont fragilisées », résume-t-elle. Les aînés souffrent plus souvent de solitude et leur santé physique et mentale est plus facilement compromise. Ils ne sont pas plus avantagés côté emploi, car rare sont les employeurs embauchant des individus de plus de 55 ans. Plus les années passent, plus leur situation et leur santé se dégradent. Certains en viennent même à perdre complètement leur autonomie.

L'intervention faite auprès des personnes âgées en itinérance doit être différente de celle faite auprès des plus jeunes. Selon l'enseignante de sociologie. les facteurs liés à la vieillesse forment sans aucun doute une difficulté supplémentaire. «Il y a différentes problématiques, mais très peu de ressources et très peu de soutien. On en parle moins, mais ces gens ont besoin d'aide.»

 

Un soutien aux femmes

 

Daphnée Quentin, qui voit passer des femmes de tous âges à !'Auberge Madeleine. abonde dans le même sens. «Si notre intervention auprès des femmes est toujours personnalisée l'âge peut avoir des effets différents. Elles n'ont pas toutes la même santé et il y a beaucoup moins de ressources pour les aînées que pour les jeunes.» Les jeunes sont plus souvent visés par les programmes de réinsertion sociale. Ils sont aussi plus au courant des ressources qui existent et peuvent aller chercher de l'aide par eux-mêmes. Mme Quentin croit qu'il est urgent de freiner la situation en attaquant le problème à la base, entre autres au niveau de l'accès au logement. «En vieillissant, la santé et l'âge font que les gens perdent leur revenu et éventuellement leur logement. précise-t-elle. Le prix des loyers n'aide pas,  il manque de logements sociaux.»

Daphnée Quentin souligne que l'itinérance féminine est beaucoup plus cachée. Les femmes étant plus à risque d'être victimes d'agression ou de viol, elles ont tendance à habiter temporairement chez des gens, avant de se retrouver sans ressources. Un problème fort différent de l'itinérance au masculin.

L'Auberge Madeleine est une maison d'aide à court terme. On y accueille les femmes en difficulté et on les réfère à des ressources adaptées. La collaboration avec d'autres organismes est essentielle à la réussite de sa mission. Avec un taux d'occupation de 100%, on est contraint d'y refuser plus de 4000 demandes par année.

 

Un grand pas pour l'aide aux aînés

 

M. Payeur attribue aussi une grande part du problème aux transformations des milieux de travail: «En vieillissant, les travailleurs autonomes se retrouvent dans une situation précaire, d'autres ont trop peu de formation ou se retrouvent disqualifiés au profit de la jeunesse». Selon lui, la main-d’œuvre est plus que disponible, mais les employeurs n'en veulent pas. Les exigences étant de plus en plus élevées sur le marché du travail, les personnes d'un certain âge n'y trouvent plus leur place.

Pour tenter d'aider ces gens en difficulté, le PAS de la rue a mis en place un continuum de soutien. L'organisme offre un centre de jour ou les gens peuvent se rendre pour obtenir de l'aide. De plus, des intervenants de proximité se déplacent, dans la rue, dans les salles d'attente des cliniques ou même à domicile pour tenter de rejoindre ceux qui vivent une grande précarité. M. Payeur défend une formule adaptée à la population qu'il rejoint «On a un service d'accueil et d'animation, un service de sécurité alimentaire.

On a même un programme d'information socioprofessionnelle en partenariat avec Emploi Québec, spécifique aux 50 ans et plus». L'organisation projette présentement de mettre en place un programme de logements sociaux à soutien communautaire pour aider les personnes sans domicile fixe.

 

Lueur d'espoir

 

Dahlia Namian croit que trop peu d'endroits comme le PAS de la rue existent «// y a déjà peu de soutien en itinérance, quand en plus on rajoute les problèmes associés à la vieillesse … » Selon elle, les politiques sociales devraient cibler mieux cet enjeu. parce qu'elles ne sont tout simplement pas adaptées. «L'évaluation des besoins d'une personne âgée ne correspond pas à la situation de quelqu'un dans la rue». L'enseignante en sociologie croit que les programmes de sécurité du revenu et la pension de la sécurité de la vieillesse, entre autres, devraient être revus. Les itinérants étant considérés comme plus difficiles à gérer ne correspondent souvent pas aux critères. «Il y a une fragilisation globale de la population vieillissante, il faut instaurer des mesures structurelles en amont.»

Sébastien Payeur va dans le même sens. Il décrit le problème comme résultant d'un ensemble de facteurs structurels et croit que les pistes d'interventions doivent en tenir compte. «Il faut intervenir avant. Le passage entre 50 et 65 ans. vécu dans la précarité, est très difficile. C'est à ce moment-là qu'ils ont le plus besoin d'aide.» Il souligne l'importance de la solidarité et du soutien communautaire. Il précise que les intervenants autant au niveau de la santé qu'au niveau social doivent absolument travailler en amont. «Tous les acteurs doivent travailler ensemble si l'on veut éviter le vase clos». Selon lui, le marché du travail doit aussi faire sa part. Il est important de l'adapter aux personnes de 50 ans et plus. alors que 8 % des baby-boomers atteignent cet âge dans une situation de précarité.

«Notre but, en tant qu'organisme, c'est de permettre aux gens de se stabiliser à leur rythme. On ne peut pas demander à quelqu'un de se réinsérer facilement» affirme le responsable du PAS de la rue. Il est fier de la qualité de l'accompagnement offert par son organisme et se réjouit de toutes les petites victoires auxquelles il assiste. «Toutes les semaines et tous les mois, il y a de petites et de grandes réussites». Qu'il s'agisse de stabiliser un problème de santé ou de trouver un logement. M. Payeur croit que rien n'est à négliger. Pour lui, il est important que les gens retrouvent leur dignité, peu importe le chemin qu'ils empruntent. «On est pas ici pour les mettre dans des cases.»

L'itinérance n'a pas de visage, d'âge ou de couleur. Beaucoup de gens dorment dans leur voiture et s'habillent bien, par fierté. Le soir, ils n'ont pourtant nulle part où aller. M. Payeur croit qu'il est important d'ouvrir les yeux du public sur cette situation qui prend sans cesse de l'ampleur. Il ajoute qu'il ne faut pas se fier aux apparences. «Éduqué ou pas, il y a de tous les parcours. Ce qui est préoccupant et peut-être un peu cliché à dire, c'est que personne n'est à l'abri.»

 

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