La Gaspésie chantée

Manuel Brault-Minville, Le Phare, L’Autre vision, Grande-Vallée, juillet 2014

Le 28 juin le Magazine Gaspésie lançait sa nouvelle édition consacrée à la naissance de notre chanson gaspésienne et québécoise. Le lancement avait lieu au Théâtre de la Vieille Forge de Petite-Vallée. Par la même occasion, le magazine remettait six certificats de reconnaissance à des artisans de chez nous ayant contribué à l’essor de la chanson : Pierre Michaud, précurseur du style chansonnier et fondateur de la première boite à chanson de Percé, qui vient de lancer son nouveau CD « Sans âge », enregistré à Grande-Vallée au studio « Le fantôme de John » propriété de Manuel Brault.

Les voix du Large de Gaspé, chorale mythique qui depuis cinquante ans chante la chanson québécoise. Donald Deschênes qui a contribué à la conservation et la propagation de la musique folklorique du Québec. Julie et Paul Daraîche qui font rayonner la chanson country depuis un demi-siècle. Alan Côté, directeur du festival en chanson qui année après année accueille et forme des centaines de jeunes et moins jeunes artistes pour les initier ou leur offrir du perfectionnent dans leur quête de poésie chantée. Manuel Brault, chef de file de la chanson pop au Québec » ! Un certificat de reconnaissance soulignant son parcours en tant qu’artiste, chanteur et auteur-compositeur. Voici sa réaction : « Merci à ma communauté retrouvée après mes quarante années d’exil sur les routes. Il y a quarante-neuf années (1965) quatre gars de Grande-Vallée s’amusaient en faisant danser les jeunes issus du “Babyboom” : j’étais loin de me douter en écrivant ces premières chansons pour mon groupe les Coronets, il y a un demi-siècle (en 1965), que j’allais en 2014 toujours être chanteur, auteur-compositeur et que je serais toujours en train d’écrire, et ça sur un ordinateur. Un millier de chansons plus tard, je peux vous parler de ce que la chanson signifie pour moi.

Ce groupe, les Coronets, a fait de moi ce que je suis. Je veux remercier ces gars et cette fille formidable. Le premier à se joindre à moi avec son accordéon (et plus tard à la basse) a été Carol Fournier, l’inventeur, le “patenteux”, le débrouillard. Puis à son tour son frère, Régis Fournier, plus pragmatique, tatillon et ordonné. (Qui de mieux pour tenir le rythme la batterie ?!) Régis fut remplacé par Gaston Gérard quand il partit étudier à l’extérieur du village. S’ajouta le quatrième complice : Arthur Fournier, le financier, le comptable et le visionnaire pour qui rien n’était impossible. Il suffisait de demander de livrer la marchandise et de savoir compter. Et moi ? Qui étais-je parmi cette gang de Fournier du haut de la côte ? Le rêveur, le naïf, le futur hippie qui s’était trouvé des amis, mais aussi une famille musicale et des complices qui jamais n’ont jugé ses agissements. Je ne voudrais pas oublier Gisèle Melanson, arrivée au village via les maritimes avec son père “le docteur”. Cette quête d’un nouveau docteur pour le village est digne du film “La grande séduction”. Des notables du village, dont mon père, parti à la rencontre d’un docteur après avoir placé une petite annonce dans les journaux du pays. À leur retour, mon père de me dire en présence des gars de mon orchestre “Les gars, le nouveau docteur s’en vient avec sa famille et il a trois filles. Pas question qu’elles repartent du village.” Le message a été compris. Sitôt arrivées dans le village, les filles ont eu de la visite et… quelques années plus tard, Arthur épousait Gisèle qui avait joint les Coronets et contribuait au succès du groupe par sa voix et ses connaissances musicales. Plus tard, Gisèle et Arthur contribuaient d’une autre façon à la musique québécoise… Ils ont mis au monde quatre enfants : Jean-Sébastien Fournier (Ti-Bass), un des meilleurs musiciens, chef d’orchestre de chez nous ; Marie-Pierre Arthur, vedette montante de la chanson pop ; Stéphane Fournier, un “sonorisateur” des plus en demande avec sa compagnie Expert-Son ; Marie-Frédérique qui, elle a pris le chemin de la médecine et qui est aujourd’hui chef urgentologue dans un hôpital de Québec.

Ce beau monde a fait de moi un meilleur être humain. Oui ! Ça chante dans les Vallées. Je crois fermement que la chanson peut influencer les comportements. Pour moi, ce fut le cas tout au long de mes 63 ans de vie. Bien sûr, il y a eu la période faste des succès. Mais après, vers la fin des années ‘80, quand le téléphone ne sonnait plus… Je me suis alors tourné vers la chanson comme outil d’intervention sociale. J’ai eu la chance de rencontrer de merveilleuses personnes qui oeuvrent après des étudiants, des jeunes de la rue, des moins bien nantis, et là encore la chanson m’a permis de devenir un meilleur être humain. Écrire pour les enfants durant une décennie (pour les Clowns du Carousel et Majobée) fut également une découverte et un exutoire pour cette passion de raconter en trois minutes une histoire qui touche et qui se chante.

Aujourd’hui cette passion demeure. Quand j’avais treize ans, je voulais devenir écrivain. Comme j’étais réputé paresseux, la chanson s’est avérée plus facile comme véhicule de mon imaginaire. Seize phrases dont quatre se répètent dans un refrain et le tour était joué. J’avais écrit, certainement par dépit, dans un de mes cahiers de romans inachevés. « Un jour quand j’aurai vécu… j’écrirai ! » Il faudrait bien que je m’y mette… Aujourd’hui, j’ai le bonheur de faire partie de la liste de ces travailleurs acharnés qui, durant la majorité de leur vie, ont contribué à la défense de la langue française, de notre musique et de notre poésie, en pratiquant un métier à la fois difficile, gratifiant et tellement imprégné de liberté.

 

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