Pour la première fois, un homme-médecine

Isabelle Neveu, Le Journal des citoyens, Prévost, le 19 juin 2014

Après une cinquantaine d’années d’apprentissages, de renoncements, de cérémonies et d’initiations de toutes sortes, le chef héréditaire Dominique Rankin a été reconnu, à l’âge de 58 ans, comme homme-médecine au sein de sa famille algonquienne. Ce jour-là, il est entré dans le cercle des aînés. Parmi eux, il était le plus jeune. On lui a remis le bâton de parole, on lui a demandé d’ouvrir la rencontre et il a alors salué chacun des aînés en prenant le temps de les regarder dans les yeux et de savourer le moment de son intronisation dans le cercle des aînés. Depuis, il prend à cœur son rôle.

Aujourd’hui âgé de 67 ans, Dominique Rankin a reçu des honneurs pour souligner ses travaux en tant qu’homme-médecine et son importante contribution au rapprochement entre les peuples autochtones. Le 24 mai dernier, lors d’une conférence organisée par la Société d’histoire et de généalogie des Pays d’en- Haut, le député de Bertrand, monsieur Claude Cousineau, lui a décerné la Médaille de l’Assemblée nationale, qui vise à souligner les accomplissements de personnalités méritant la reconnaissance de la société québécoise.

«Pour moi, cette médaille est une surprise et je suis content de la recevoir, puisque c’est une reconnaissance de la part des non autochtones», a confié Dominique Rankin, précisant qu’il a déjà reçu des honneurs semblables, mais que c’est la première fois au Québec. Ayant vécu les atrocités des pensionnats autochtones pendant sa jeunesse et acceptant difficilement que sa famille ait été déracinée de sa terre, le chef héréditaire algonquien admet avoir longtemps eu des préjugés à l’égard des Canadiens.

Aujourd’hui, il s’est réconcilié avec son passé et leur demande pardon pour ses jugements antérieurs. Il est également heureux de constater que les gens autour de lui sont de plus en plus ouverts d’esprit à l’égard de sa culture et de ses croyances.

 

Des hommes de cœur

 

Dominique Rankin explique que les chefs héréditaires sont des hommes médecine qui aident leurs semblables au niveau physique et psychologique. Malheureusement, ces derniers sont souvent confondus aux shamans, mais M. Rankin rappelle qu’il y a une grande différence entre eux : « Le shaman travaille avec les mauvais esprits, l’homme-médecine travaille plutôt avec son cœur. »

Les pratiques médicinales algonquiennes sont très différentes de la conception occidentale de la médecine. Dans son livre On nous appelait les sauvages, qu’il a écrit en collaboration avec la journaliste Marie-Josée Tardif, le chef héréditaire déclare que la médecine de son peuple a une portée et une profondeur qui cherche à stimuler ou à rétablir le cours naturel de la vie dans l’esprit et le corps quand l’un ou l’autre est perturbé. « Si quelqu’un vient me voir pour un soin, je ne lui dirai pas que je suis un guérisseur. Je vais plutôt lui expliquer que je suis un homme-médecine et que nous serons trois à travailler pour l’amener vers la guérison : moi, lui et celui auquel il croit, selon sa propre croyance », affirme Dominique Rankin. Il ajoute que 80% du travail de guérison doit être réalisé par la personne qui désire se soigner, puisqu’elle est maître de son corps.

 

Les racines d’un peuple

 

Nostalgique du temps où il était nomade et vivait avec sa famille selon sa culture et ses traditions, l’homme-médecine avoue qu’il a « de la difficulté à vivre comme un Blanc. » Son peuple vit d’une autre manière, sans électricité, sans eau courante, sans clé pour la maison, sans cartes de crédit et sans factures à payer tous les mois. « Pour bien vivre aujourd’hui, je crois qu’il faut être un administrateur et je n’en suis pas un », confirme Dominique Rankin. Il souligne que tenter de vivre à la manière des Occidentaux lui apporte beaucoup de soucis.

Malgré cela, le chef héréditaire mène une bonne vie. N’ayant jamais accepté de vivre dans une réserve, il vit actuellement au cœur de la forêt à Val-des-Lacs, puisque c’est dans cet environnement qu’il se sent bien. Retraité depuis quelques années, il fait maintenant ce qui lui plaît et tente de vivre au jour le jour, comme le veut la philosophie de son peuple.

 

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