Vous êtes votre emploi

Ianik Marcil, L'Itinéraire, Montréal, le 15 juin 2014

«Qu'est-ce que tu fais dans la vie?» Cette question banale, on nous la pose quotidiennement. Et si on y répondait: «je cultive mon potager» ou «je collectionne les timbres», on passerait pour fêlé de la cafetière. Ce qu'on fait dans la vie, c'est travailler. La nature de notre emploi nous définit fondamentalement.

Avoir (ou pas) un emploi, un métier, une profession est bien évidemment fondamental dans notre vie. C’est ce qui nous permet de vivre, justement. De gagner sa vie, comme on dit. Pourtant, nos valeurs héritées depuis des temps immémoriaux placent au-dessus du travail des aspects beaucoup plus fondamentaux et considérés plus nobles, comme l'amour, la santé, la famille ou la spiritualité.

En réalité, la question «Qu'est-ce que tu fais dans la vie?» est davantage «Qu'est-ce que tu es?», Nous sommes notre emploi, notre métier. Les penseurs de la société et de l'économie considèrent depuis un bon moment que le travail est l'une des composantes essentielles de notre identité personnelle, au même titre que notre langue, notre origine ethnique ou notre appartenance religieuse (entre autres).

N'en déplaise à nombreux de mes confrères économistes, travailler n'est pas une activité économique comme les autres, désincarnée de la réalité psychologique et sociale. «Vendre» sa force de travail n'est pas comme vendre des tomates : une partie fondamentale de ce que nous sommes entre en jeu.

Avoir un emploi ou en chercher un implique que nous sommes partie prenante de la société. D'ailleurs, les économistes appellent «population active» l'ensemble des femmes et des hommes qui, soit occupent un emploi, soit en cherchent un. Autant dire, à l'inverse, que celles et ceux qui ne sont pas dans cette situation sont inactifs. Donc, exclus du cœur même de la vie sociale. Ainsi le sont les étudiants, les bénéficiaires de l'aide sociale ou les retraités.

Prenons le cas des retraités. Le mot le dit : ils sont en retrait de la société. Installés jusqu'à leur mort sur une voie d'évitement. Même chose pour les bénéficiaires de l'aide sociale : ils sont des assistés sociaux. On les assiste, sans plus. Dans les deux cas, des personnes en position passive, dont on supporte, au mieux, l'existence. C'est dire combien perdre un emploi est tout sauf une simple statistique publiée par les agences gouvernementales. Être chômeur, c'est subir une violence économique profonde parce que cet état nous atteint au plus profond de notre identité. Soudainement, nous ne sommes plus rien, socialement. On s'accroche, souvent avec anxiété, à l'espoir de décrocher le plus rapidement possible un nouveau travail. Si la recherche s'éternise, on envisage avec angoisse l'assistance sociale. Les responsables économiques et politiques devraient avoir tous les jours en tête cette formidable violence que constituent les pertes d'emploi. Une augmentation d'un petit 0,1 de point de pourcentage du taux de chômage, c'est près de 4500 Québécois économiquement violentés. Des femmes et des hommes profondément heurtés dans leur identité profonde.

 

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