Nathalie Côté, Droit de parole, Québec, juin 2014
Des dizaines de personnes ont marché chaque jour pendant un mois, en partant de Cacouna pour se rendre à Kanesatake. Du 10 mai au 14 juin, Autochtones, non-autochtones, jeunes et moins jeunes, ont suivi le parcours des quelques 700 km que prendrait le pipeline s’il était construit. Ils dénoncent la construction du pipeline et celle du port pétrolier à Cacouna qui mettront notamment en péril la vie marine.
Chemin faisant, les marcheurs ont rencontré des citoyennes, des fermiers, des résidants, souvent peu au courant du projet, mais avides d’information sur les effets du passage du pipeline Énergie-Est qui n’annonce rien de bon pour la nature et notre qualité de vie.
Le groupe de marcheurs s’est arrêté à Québec le 22 mai dernier. Une centaine de personnes sont allées les rejoindre et ont marché avec eux jusqu’au Parlement. Chants, tambours, fumée de sauge : la résonance de cette marche festive, spirituelle et politique s’est rendue, espérons-le, jusqu’aux oreilles des politiciens.
Le plus gros projet de pipeline au monde
Patrick Bonin, un des porte-paroles de Greenpeace au Québec, dénonce les conservateurs de Harper qui ont sorti le Canada de l’accord de Kyoto et il qualifie l’actuel projet de pipelines (pour transporter le pétrole bitumineux de l’Ouest vers l’Est en traversant le Québec), de plus gros au monde : « Ce projet est un désastre pour l’environnement, pour les changements climatiques. Cela va annuler tous nos efforts (…) Il faut réveiller les politiciens », lance le militant écologiste, comme plusieurs de ses concitoyens qui savent qu’il est urgent d’agir.
Ce projet de pipeline, il est immense en effet. Il traverserait tout le Canada. C’est d’abord l’inversion du pipeline existant, le 9B de la compagnie Enbridge, qui va de l’Ouest canadien jusqu’à Montréal. Ensuite, cette première partie sera connectée avec la construction d’un nouveau pipeline par la compagnie TransCanada, qui longerait le Saint-Laurent, de Montréal jusqu’à Cacouna, où un port pétrolier serait construit pour exporter le pétrole des sables bitumineux et des gaz de schiste, ailleurs, partout dans le monde. Ensuite, de Cacouna, le pipeline pourrait poursuivre son chemin terrestre jusqu’à St-John au Nouveau-Brunswick.
Coule pas chez nous
Les citoyens réunis devant le parlement avec la coalition Coule pas chez nous ne veulent pas de ce pipeline qui apportera très peu d’emplois et mettra en péril la nature, la qualité de l’eau, voire les industries touristiques et celle de la pêche. Jusqu’à Tadoussac, la population s’indigne : « Quand la population se met ensemble, elle peut contrer des projets», rappelle un des porte-paroles de Coule pas chez nous, Jacques Tétrault. On se souvient de la résistance citoyenne de 2011 au développement des gaz de schiste que voulaient faire les pétrolières dans la vallée du St-Laurent. On se souvient aussi que c’est grâce à la résistance citoyenne que le gouvernement a adopté un moratoire.
C’est devant le Parlement de Québec que les militants de Nature-Québec ont annoncé qu’ils avaient gagné l’injonction pour la suspension des travaux à Cacouna. Première victoire pour les écologistes, « mais la bataille n’est pas encore gagnée», selon Nature-Québec. Les militants écologistes ne sont pas naïfs, comme le dit Jacques Tétrault : « Il faut que l’on soit solidaire pour arriver à bloquer ce projet. On lutte contre des gens qui sont extrêmement puissants. Nos gouvernements se font embarquer dans ça ! Tout le long de notre marche, on va contrer la désinformation. Les comités contre le gaz de schiste, dans la vallée du Saint-Laurent, vont nous accueillir. » C’est probablement ces rencontres de village en village qui auront le plus d’impact pour mobiliser la population, pour dire non à l’industrie pétrolière, et oser imaginer un Québec à l’avant-garde des énergies vertes et non polluantes.
Le 8e feu est allumé
« Le peuple doit prendre le contrôle de la démocratie. Le 8e feu est allumé », disait un militant autochtone en arrivant à Québec. Le 8e feu c’est, chez les peuples Autochtones, un moment de changements. Changer notre façon de voir de monde, changer notre rapport à la nature et aux ressources naturelles. Dans la situation actuelle, il s’agit aussi de changer nos façons de nous déplacer; changer notre quotidien pour développer une société moins dépendante au pétrole. Comme le dit le sociologue de l’université Laval, Gilles Gagné, dans le film Anticosti : la chasse au pétrole extrême : devant chacun de nos choix individuels et collectifs, on doit se demander s’ils nous rapprochent ou nous éloignent du pétrole. Sortir du pétrole, c’est choisir de ne pas développer le pétrole et le gaz de schiste, tant dans la vallée du St-Laurent qu’à Anticosti, et c’est ne pas transporter celui des sables bitumineux. C’est aussi sortir du tout-à-l’auto, c’est-à-dire développer le transport collectif et le transport actif, faciliter les déplacements en ville, à vélo, à pied, et aussi acheter local. C’est moins de pollution et des villes plus attrayantes.
Mais les politiciens persistent à défendre un modèle économique voué à disparaître. La preuve en est le récent budget libéral qui coupe dans le ministère de l’Environnement et du Développement durable et qui annonce des investissements dans les hydrocarbures. Dans une sorte de déni, en voulant, coute que coute, poursuivre le développement effréné des ressources naturelles, dans un déni de la crise environnementale et des changements climatiques. D’ailleurs, ne voyez-vous pas comme ils sont pressés de tout exploiter ? Le prochain mouvement de résistance pourrait bien d’être celui des écologistes et des citoyens à la défense de la nature et de la qualité de la vie.