Du sable dans le vagin

Kim Gagné, Le Mouton NOIR, Rimouski, mai-juin 2014

Mettons tout de suite les choses au point. J’aime sincèrement les humains, grands, petits, pauvres, roux ou pas, et de tous genres confondus. Je « les cœur » pour de vrai, pas seulement parce que c’est gentil à écrire, et même autant que « je cœur » le sirop d’érable et le fait de ne pas avoir de vaisselle à laver. C’est beaucoup d’amour tout ça. Personne ne dira que j’écris cet article parce que je n’aime pas assez les hommes. Non.

C’est difficile à croire, mais cette semaine j’ai entendu pour la première fois l’expression « avoir du sable dans le vagin ». Et ça ne se voulait pas du tout une anecdote de plage. Ça se voulait une façon de parler d’une femme qui plaidait pour les droits féminins. Euh. Come on!

En fait, à moins d’être contre les droits de la personne, je trouve ça plutôt audacieux de s’élever contre le féminisme qui, de fait, est un humanisme qui défend l’égalité, puis le respect des femmes et des hommes dans diverses sociétés. Un ou une féministe, ça veut définir et promouvoir les droits des femmes; ça veut abolir les inégalités sociales, politiques, économiques, juridiques et culturelles qui teintent l’univers féminin – t’sais, cet espace de vie où l’on croise sa mère, sa femme, sa sœur, sa fille, son amie. Ce n’est pas si gênant à incarner quand on y pense.

Pourtant, présentement, y’a pas grand monde juché sur les toits en train de crier sa détermination féministe; ça chuchote plutôt, disons-le. Que ce soit par crainte d’être stigmatisé ou parce que l’on croit que le combat est devenu accessoire, beaucoup ne s’identifient plus au mouvement. Cela dit, si le siècle dernier a permis un avancement considérable en réduisant certaines des plus manifestes discriminations basées sur le sexe, l’égalité fait toujours défaut. Ça fait que, ben oui, le féminisme reste un passage obligé.

Il importe de saisir que le féminisme ne se bat pas contre les hommes, mais plutôt contre le patriarcat, ce système érigé sur le principe de la hiérarchie des genres qui suppose que la valeur d’un homme surpasse celle de la femme. Le patriarcat, c’est entre autres ce qui entérine de façon insidieuse la violence conjugale en attribuant certaines caractéristiques et devoirs aux femmes. Le patriarcat, ça aime les femmes douces, gentilles, aidantes et maternelles. On peut très bien aimer les hommes et ne pas aimer le patriarcat.

Des exemples d’inégalité, en voilà. Dans les 30 dernières années, 150 millions de femmes auraient dû naître, mais ont été supprimées avant ou à leur naissance en raison de leur sexe, car leur culture accorde moins de valeur au sexe féminin. Environ 14 millions d’adolescentes deviennent mères chaque année. Deux tiers des adultes analphabètes sont des femmes. Près de 136 millions de femmes et de fillettes seraient actuellement concernées par les pratiques culturelles de mutilation génitale. Chaque année, quatre millions de femmes sont vendues et achetées pour le mariage forcé, l’esclavage, la prostitution. Une femme sur trois a été violée, battue ou victime de mauvais traitements au moins une fois dans sa vie (Organisation mondiale de la Santé). Benoîte Groult, auteure et militante féministe, disait que « si le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours. » Non, nos identités de genre ne sont pas neutres.

Sarah Labarre, auteure et militante féministe, vient de créer Les antiféministes, une page « Tumblr » dénonçant et répertoriant « les attaques et petites violences ordinaires lancées contre les femmes ou le féminisme ». Selon elle, la diffusion de ces commentaires rend visible une réalité bien présente afin de mieux s’armer contre elle. Difficile de croire que l’égalité est atteinte lorsqu’on visite cette page et qu’on y lit, entre autres, « qu’un viol ou deux n’a jamais tué personne ». Ouf.

Depuis la parution du billet controversé du blogueur Gab Roy, où il décrivait de façon explicite les actes sexuels qu’il désirait faire subir à la comédienne Mariloup Wolfe, on entend davantage parler de culture du viol. En peu de mots, disons qu’il s’agit d’une culture qui banalise les violences sexuelles, les encourage ou qui accuse les femmes d’en être responsables par leurs comportements. Ben oui, t’sais. Me semble que la compassion envers une victime d’agression sexuelle doit être proportionnelle à la quantité de tissu qui recouvre son corps! Ouf, encore!

Parce que la neutralité et le silence entérinent les abus, les dénoncer reste notre arme la plus habile. Encore en 2014, le sexisme est omniprésent dans la société, parfois même dans des discours que l’on croit conscientisés. Mariette Julien, auteure et professeure en commercialisation de la mode, observe que « plus les femmes se libèrent dans la société, plus les femmes s’enferment dans l’apparence ». La dictature de l’image façonne les comportements et nos idéaux. Les mouvements féministes doivent s’adapter à l’époque. Le débat reste le même, mais les maux sont différents.

Ce que le féminisme réclame toujours, c’est la possibilité pour la femme d’exprimer sa singularité en lui donnant le droit d’apparaître, puis d’être, au même titre que l’homme. Pour Hannah Arendt, la singularité de l’humain peut arriver à s’exprimer dans la pluralité des liens, entre autres par l’action et la parole; pour elle, l’égalité passe par l’organisation humaine. Parler, puis s’organiser. Oui. Le mouvement des femmes perd beaucoup lorsqu’il devient un facteur de division au lieu d’en être un de cohésion. On a peut-être ici une partie de la solution.

Et puis, je vous le confie comme si on avait ensemble la tête posée sur le même oreiller, je suis une féministe convaincue et, techniquement, y’a personne qui va trouver de sable dans mon vagin c’t’année. La prochaine non plus.

 

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