Pierre Mouterde, Droit de parole, Québec, mai 2014
Marie-Ève Duchesne, qui travaille depuis 10 ans auprès des groupes populaires de la basse-ville de Québec et notamment à Rose du Nord (Regroupement des femmes sans emploi du nord de Québec), a décidé de se présenter dans Taschereau comme candidate de Québec Solidaire aux dernières élections provinciales. Elle nous explique ici pourquoi.
Droit de parole – Marie Ève, tu sors d’une campagne électorale qui a été assez intense. Au-delà même du résultat non négligeable des 15 % de suffrage que tu as obtenu, est-ce que cette expérience a été positive pour toi ? Quelles leçons en tires-tu ?
Marie Ève – Pour moi, le bilan est positif dans le sens où, dans Taschereau, Québec Solidaire a pu faire augmenter son suffrage et plus s’ancrer dans le comté (de 11,5 % en 2012 à 15 % en 2014), et ce, malgré le défi d’un passage à une candidature beaucoup moins connue que pouvait l’être Serge Roy. Je me demandais quels impacts ce changement allait avoir sur le suffrage. Par exemple, je sais qu’il y a maintenant des pôles très forts d’électeurs de QS, pas seulement dans Saint-Jean-Baptiste, mais aussi dans Saint-Roch, dans mon quartier, là où je vis. J’ai l’impression que dans la Basse-ville on a fait des gains. Il faut dire aussi qu’il y a eu une super réponse des groupes communautaires. J’en ai rencontrés pendant la campagne plus d’une vingtaine. Et pour moi, le point principal c’était de les entendre. Je travaille dans le communautaire depuis une dizaine d’années et il y a encore ce côté frileux vis-à-vis de la politique. Cet aspect, je le côtoie, je le comprends, mais j’avais envie de créer un pont à ce niveau. Déjà, nous avions cette orientation, mais là on a réussi à la faire aboutir. On vient de créer un lien, d’associer un parti au mouvement communautaire. Il y a dorénavant des alliances possibles. Mais pas pour y aller de manière invasive. Pas pour imposer ce qu’on veut. Pour y aller dans un mode d’ouverture. Pour recueillir leurs préoccupations. Et là ça marche, les groupes ont envie de parler de ce qu’ils vivent.
Droit de parole – Mais justement, qu’est-ce qui peut faciliter le rapprochement avec le mouvement communautaire; qu’est-ce qui le rend difficile ?
Marie Ève – En fait le mouvement communautaire n’est pas homogène, ni uniforme. Bien sûr, il y a le mouvement communautaire de la défense des droits, cet ensemble-là peut se reconnaître dans le programme de QS, mais ce n’est pas le seul. On travaille aussi avec des gens qui vivent dans la pauvreté, qui sont étranglés. Souvent on n’a pas l’opinion publique de notre bord, on est à contre-courant. Et puis c’est vrai, à cause du financement, la politique partisane est difficile parce que tu mets ton financement en jeu. Ça c’est une barrière. Plus d’ailleurs que l’allégeance au PQ, car avec les coupures à l’aide sociale, ces personnes se font très discrètes dans leur allégeance. Le vrai défi, c’est le reste du communautaire, celui qui se trouve au niveau du service et pour lequel la grande lutte, ça va être maintenant la question du financement. Car quand on parle de sous-financement du mouvement communautaire, le seul parti qui ne s’est pas engagé à pallier à ce problème, c’est le parti qui est arrivé aujourd’hui au pouvoir, le Parti Libéral.
À ce niveau pourtant, la force qu’on a, c’est qu’on n’a plus la maudite période de la lune de miel comme dans le cas du PQ. Cette fois-ci, les gens sont prêts. Et puis ils ont vu les annonces du ministre des finances : les programmes sociaux vont être réévalués. Reste à savoir lesquels vont passer « dans le tordeur», mais il y a déjà un mode alerte. La Coalition pour la Justice Sociale va peut-être permettre de redonner une force à tout cela. Au moins, on ne laisse plus la chance au coureur, comme on l’avait fait avec le PQ.
Droit de parole – Mais dans cette période difficile qui s’annonce, comment selon toi le mouvement populaire pourrait faire ce passage vers plus de politique ?
Marie-Ève – Il y a beaucoup de craintes qui viennent du passé des groupes politiques. La crainte de la récupération est présente, mais moi je ne l’ai pas vécue. De mon côté, j’ai commencé par être membre d’Option citoyenne. C’était tout naturel : nos revendications de groupes communautaires sont politiques et il y avait un parti politique qui reprenait ça. C’est comme ça que j’ai eu envie de lui donner du « jus de bras ». Mais de manière générale, pour moi, la façon de changer la société c’est de mettre le plus de pions en place. Je ne pense pas qu’on doive nécessairement tous marcher ensemble, la main dans la main. Mais si tous les acteurs et actrices font bien leur travail, chacun de leur côté, on avance ensemble dans la même direction. En fait si les mouvements sociaux doivent aller vers QS, il faudrait surtout que QS aille vers les mouvements sociaux. Est-ce que nous de QS, on est présent quand c’est le temps ? On peut bien sûr poser des questions aux mouvements sociaux, mais on peut aussi poser des questions à QS : comment s’implique- t-il avec les mouvements sociaux ? Plus on s’impliquera dans les mouvements sociaux, plus on pourra faire rayonner nos idées. Et pas simplement dans le discours, pour faire de la propagande, mais dans les actes. On a 4 ans, 4 ans de politiques d’austérité, pour tisser ces liens-là.