Le gaveur gavé, réedition actualisée

Gérard Declerck, Le Cantonnier, Disraeli, le 24 avril 2014

J’ai beaucoup entendu parler de l’atroce manière dont canards et oies subissent aujourd’hui la torture du gavage. Torture digne des procédés imposés durant des siècles aux êtres humains par l’Inquisition. « Joyeuse » pratique inscrite dans « l’instrumentologie » imaginée au 13ème siècle par le Pape INNOCENT III dont la mission était la conversion des impies et le rejet de toutes sciences évolutionnistes. Ceci jusqu’au 17ème siècle lorsque GALILÉE, soutenant les théories coperniciennes, a affirmé que la Terre est ronde, précisant aux prélats inquisitoriaux qui réfutaient ses déductions : « Et pourtant elle tourne! ». Ce qui, malgré son abjuration, lui valu d’être, non pas gavé donc torturé, mais condamné à vie. Sentence qui fut commuée en résidence surveillée.

Même si je suppute la vraie raison de ce déchaînement médiatique, je connais très bien le procédé dont ma grand’mère m’a appris les rudiments. Si je dois avouer que je me délecte des conséquences, je me dois aussi de reconnaître que les méthodes ancestrales employées empiriquement par des générations de petits paysans sont de vraies tortures pour ces « pauvres bêtes ». Quelle torture subissent ces gras palmipèdes éparpillés dans les prés bien verts et qui doivent, au bruit de gamelle agitée par le gaveur, se précipiter, se bousculer, se piétiner pour accéder chaque jour à la pitance de maïs pour, post-mortem, satisfaire les papilles de fins gourmets.

Papilles dont je suis pourvu et qui me permettent d’apprécier le foie gras soit frais, frissonnant sur un lit de pommes pochées et nappées de gelée d’airelles soit cuit et truffé, étendu sur une tartine de pain grillé l’un ou l’autre accompagné d’un Château d’Eyquem, d’un Sauternes, d’un Loupiac, d’un Jurançon sinon un Monbazillac. Je m’en voudrai d’oublier : les magrets bien saignants sur des petits oignons frais confits, les cuisses confites accompagnées de pommes sarladaises ou d’une choucroute à la graisse d’oie, un gésier confit émincé dans une salade aux noix de Grenoble (France), une garbure de demoiselle (carcasse désossée) avec choux vert, navets et tarbais.

Après avoir parlé du foie gras et du gavage dont il est issu, peut-être devrions-nous nous poser la question sur la ou plutôt les manières dont est obtenu l’ensemble des aliments d’origine animale que chacun d’entre nous consomme.

– Les poissons et crustacés (crevettes): sont, pour l’essentiel élevés dans des fermes aquicoles éparpillées sur la planète et nourris artificiellement facilitant ainsi une croissance accélérée.

– Les volailles subissent le même sort selon divers procédés quasi-industriels auxquels s’ajoutent la lumière, l’alimentation, le stress, etc. Quant aux poules pondeuses…

– La production laitière avec la stabulation libre et l’absence de contacts avec la nature, l’ensemble nutritionnel informatisé, l’extrême rigueur des contrôles sanitaires. Sans rappeler que, sauf quelques races, toutes les bêtes sont écornées.

– L’élevage porcin dont les procédés technologiques tels ceux touchant la génétique, les composantes nutritionnelles et sanitaires permettent de produire en quelques mois des bêtes commercialisables qui, dans le passé, par une alimentation traditionnelle, demandaient pratiquement le double de temps.

Au fait selon le Larousse le gavage c’est :

– Alimenter de force

– Manger avec excès

– Bourrer, encombrer l’esprit

Alors après avoir traité brièvement la première définition voyons la seconde :

Ainsi ce qui précède pourrait s’appeler la standardisation alimentaire. Une technique qui entraîne la surproductivité et dont les choix et conséquences alimentaires découlent plus de l’oeil que du nez puisque tout ou presque est préemballé sous pellicule plastique voire sous vide, y compris certains légumes et champignons gorgés d’eau ou autres organismes vivants comme les moules ou les huîtres.

Donc après avoir gavé ce qui représente plus de la moitié des aliments consommés dans les pays de l’hémisphère Nord, voyons un peu le reste dont l’être humain se gave avec excès :

– Les céréales sous toutes les formes : pain, flocons, pâtes, craquelins, farines, pois, cacahouètes, haricots (beans), etc. ;

– Les plats cuisinés, les pommes de terre, les légumes et fruits frais, secs ou en conserve.

– Tous les produits transformés : poissons, poulets, boeuf, porc, lait etc. ;

– Des produits laitiers reconstitués comme du beurre ou crème sans calcium ;

– Toutes les boissons alcooliques ;

– Tous les produits médicamenteux prescrits ou non ;

– Tous ce qui se fume, tous les « stimulants » légaux ou non ;

– Pour le reste. regardez dans vos sacs de commissions et les étiquettes au dos de vos achats pour en connaître l’origine et la composition…

Quant à aujourd’hui il est recommandé de consommer plusieurs fruits par jour, de même que des légumes verts de préférence. Ce qui est parfait et qui fait partie de mes habitudes. Mais prend on le temps, selon la saison, de se poser la question de la provenance et de quoi les uns et les autres sont engraissés et protégés contre toutes les agressions qu’elles soient vivantes, génétiques, physiques chimiques etc. Oui la nature est généreuse, mais seulement la nature. Alors nous, villageois quelle chance avons-nous d’être près de cultures possiblement naturelles et mieux encore, disposons et valorisons avec précautions notre petit lopin de terre dont nous sommes, après quelques efforts, heureux de profiter durant la belle saison et sans aucune retenue.

Alors après l’estomac, sinon le goût ou le pèse personne, qu’en est-il de notre esprit et de quoi est-il gavé ?

– Le jeu individuel ou collectif ;

– La réalité et la fiction confondues dans les médias télévisuels ou parlés ;

– Fausses vérités, vrais mensonges ou mensonges par omission ;

– Invasion massive de publicités agressives ou subliminales ;

– Incitations à la consommation de l’inutile ;

– Invitation à l’impuissance par les dettes faciles ;

– Invitation à l’inculture donc à la fragilité par l’absence ou l’excès d’informations ;

– La liste risque d’être trop longue alors pour le reste regardez autour de vous.

Moralité :

La différence entre l’animal gavé et le gaveur gavé est que le second paye très cher pour subir la « torture » alors que le premier la subit sinon sans douleur du moins en silence.

 

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