Marie-Josée Gamache, Le Trident de Wotton, avril 2014
Le mois dernier, je vous ai parlé du temps des sucres, mais la nature m'a trompée. Il gèle encore en cette fin de mars et la sève des érables n'a pas commencé à monter. Je n'ose pas vous parler du printemps, de peur qu'il n'arrive pas, même pour Pâques. Le célèbre lapin est encore en hibernation. Je le vois mal transporter des chocolats glacés dans la neige poudreuse.
Dans ma petite étable, il y a beaucoup d'agitation. Les chèvres, sentant la liberté venir avec le soleil, cherchent constamment à sortir de leur enclos. Il faut les embarrer à double tour. Quand je leur en donne l'occasion, elles vont dehors dans la cour et s'amusent à leurs gambades et leurs danses, se frottant les cornes dans un jeu d'intimidation. Mon petit bouc, que j'ai nourri au biberon, me suit partout, évitant les chevrettes plus grandes que lui. Il reprend du poil de la bête; il avait perdu beaucoup de sa fourrure par manque de soleil.
Les brebis se mangent la laine sur le dos. En fait, ce n'est pas la laine qu'elles mangent, mais le grain et le foin qui sont tombés sur elles. Parmi les trois, seule la plus petite, Blanca, a agnelé. Un matin, j'ai trouvé l'étable bien silencieuse. Pas de bêlements de bêtes affamées pour m'accueillir. Mais dans l'enclos de Blanca, la naissance avait eu lieu. Deux bébés, dont un qui n' était pas encore debout, et que la mère encourageait de son museau et de son doux bêlement. Un portrait magnifique qui restera dans ma mémoire, et dans l'appareil photo, au cas où la première ferait défaut.
La bonne nouvelle, c'est que ce sont deux femelles et que nous allons donc les garder dans le troupeau. D'ailleurs pourquoi dit-on un troupeau de moutons alors qu'il n'y a qu'un mâle avec les brebis. On dit bien un troupeau de vaches, de chèvres. Bon, revenons à nos moutons. La mauvaise nouvelle? Il n'y aura pas de méchoui chez nous cette année. Pas d'agneau à manger. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Les petits-enfants ne sont pas encore prêts à passer à l'autre étape de mon projet locavore, manger les animaux élevés sur ma fermette. La viande, pour eux, demeure un concept déconnecté de la réalité, dans un emballage de plastique.
Les agnelles grandissent vite et jouent à saute-mouton sur le dos de leur mère. Jérémie, 12 ans, a nommé la petite grise, Pirouette, et Charles, 5 ans, a choisi le nom de Coquinette pour la blanche. Durant la semaine de relâche, nous avons lâché notre fou dehors en famille, à glisser dans la côte et à jouer au hockey bottines dans la cour. Pour se réchauffer, une visite dans l'étable et l'escalade des bottes de foin; puis la bonne soupe de mamie et un livre dans la berceuse au bord du feu. Tout redevient silencieux, chacun étant absorbé par son histoire. Que du bonheur … hivernal.