Des Québécois errants

Simon Cordeau, L’Itinéraire, Montréal, le 1er mars 2014

L’itinérance ne se passe pas que dans la rue. Ou qu'à Montréal. Dans les régions du Québec, certains errent de logement en logement, donnent sur le canapé d'un ami, dans leur voiture ou cohabitent à dix dans un minuscule appartement. Le tout, discrètement, sans être vu. Le tout, ignoré.

Selon Anne Bonnefont, coordonnatrice du Réseau solidarité itinérance du Québec (RSIQ), l'itinérance en région est souvent invisible, cachée. Mais elle existe bel et bien. «En région, l’itinérance chronique est rare. Elfe est plus circonstancielle ou cyclique. Aussi, elle est moins visible parce qu'elfe est moins dans la rue», affirme-t-elle.

Le phénomène n'est pas reconnu depuis longtemps, d'après Céline Bellot,  professeure de l'École de service social de l'Université de Montréal. Avant, on parlait surtout de Montréal et de Québec. «Cette reconnaissance de l'itinérance en région passe par la reconnaissance de formes différentes de l'itinérance.» Pour plusieurs, l'itinérance se manifeste comme une instabilité résidentielle. «Ils ne savent pas où ils vont pouvoir vivre demain matin», illustre Mme Bellot.

Bien définir le phénomène et ses chiffres est d'autant plus difficile, dû à cet aspect caché, admet Mme Bonnefont. «Ils n'utilisent pas toutes les ressources», indique-t-elle. La plupart des chiffres sont donc souvent en dessous de la réalité.

 

Manque de ressources

 

Un enjeu important est le manque pur et simple de ressources. «Il y Q une différence de concentration entre Montréal et les régions. À Montréal,  il y a plus de personnes, donc plus d'organismes», explique Mme Bonnefont. En région, c'est l'inverse. Mme Bellot parle aussi de la difficulté de mettre en place des ressources spécialisées, étant donné cette absence de densité. «On ne pourra pas créer des refuges dans chaque petite ville.» Selon elle, il ne reste qu'à créer des programmes généraux, qui s'appliquent aussi aux régions.

Malgré l'éparpillement des itinérants, les besoins sont là. Et la tendance va en s'accroissant. À Sainte-Adèle, L’Écluse des Laurentides rejoint près de 1000 personnes par année avec son travail de rue. Le Transit de Sept-Îles, seul refuge de la Côte-Nord, accueille 300 personnes par année … mais reçoit 1000 demandes. À Terrebonne, la Hutte ne devait servir que l'hiver. Pour répondre à la demande, elle accueille 500 personnes par année, toute l'année. «Je pourrais vous donner plusieurs autres exemples», ajoute Mme Bonnefont.

Pour certains groupes, ce manque de ressources est criant. Les femmes victimes de violence conjugale, par exemple, sont privées d'aide spécialisée. Les jeunes peuvent être plus facilement marginalisés, par exemple s'ils sont homosexuels. Sans compter les enjeux auprès des populations autochtones …

La solution, pour plusieurs est de migrer vers Montréal, là où sont les ressources et les organismes. «Les jeunes viennent à Montréal aussi pour diluer leur marginalité dans l'anonymat de la ville», affirme Mme Bellot. Avec cette délocalisation, les itinérants perdent leurs liens, leurs affiliations, leurs repères. Cela contribue à leur isolement.

Les régions ont également leurs forces, nuance Mme Bellot. «Les mécanismes de solidarité y sont beaucoup plus développés. Il y a plus de proximité avec la famille et avec le voisinage. Ça permet une meilleure intervention.» Fournir davantage de ressources aux régions pourrait freiner cette migration vers les grands centres. Cela permettrait d'utiliser les liens que les gens ont déjà avec leur région, de les aider chez eux. «Pour la plupart des jeunes, ajoute Mme Bellot, leur projet de sortie de rue, c'est de retourner en région.»

 

Une politique nationale

 

La nouvelle Politique sur l'itinérance du gouvernement du Québec (pas encore rendue publique au moment de mettre sous presse) devrait aider les choses, espèrent le RSIQ et Mme Bellot. Mme Bonnefont espère spécialement y voir des réponses structurelles, qui s'attaquent aux causes plutôt qu'aux conséquences de l'itinérance, comme l'éducation, le logement,  les revenus, etc. «EIle s'inscrit dans le temps, contrairement à un plan d'action qui a une échéance. Là, tous les gouvernements futurs seront tenus d'agir dans le cadre de la politique.»

Mme Bellot souhaite aussi que la Politique évite de faire un clivage entre les régions et les grandes villes. «Il faudrait que les services soient disponibles équitablement, peu importe où se trouve le besoin.» Elle prend l'exemple de la construction de logements sociaux, qui est beaucoup plus lourde sur l'économie d'une petite ville que sur celle de Montréal. «Parfois, on tente de financer avec des activités de financement, comme des soupers spaghetti. Mais il en faut, des soupers spaghetti!»

En définissant les grands axes sur lesquels intervenir, la nouvelle politique devrait permettre de mettre en place divers plans d'action et de débloquer les ressources nécessaires à leur réalisation. Contactée par courriel, la ministre responsable du dossier, Véronique Hivon, nous a assuré que les régions étaient au cœur des réflexions concernant cette politique. Elle a toutefois préféré attendre la publication de la politique avant d'émettre plus de commentaires.

classé sous : Non classé