Une grand-maman kangourou

Clémence Lord, L’Attisée, Saint-Jean-Port-Joli, mars 2014

J’ai eu le privilège de connaître une grand-maman Kangourou lors du Camp littéraire Félix de l’été dernier à Pohénégamook. Elle a cinq enfants, dont quatre qu’elle a pris en adoption; elle est aussi grand-maman de quinze petits-enfants. Mais je suis certaine que des dizaines d’enfants la considèrent comme leur grand-maman ou souhaiteraient qu’elle le devienne.

Elle n’est pas encore à bout d’âge, loin de là, mais la vie ne l’a pas épargnée. Son enfance n’a guère été douce; son père a dû lui enseigner à faire face à la honte, à l’opprobre, à la marginalisation. Elle a appris à se battre pour obtenir sa place; elle est ainsi devenue un pilier pour sa famille, un exemple pour les siens et sa communauté. Elle a choisi la voie de l’enseignement pendant 40 ans, dans un milieu défavorisé à Sept-Îles, dans sa communauté autochtone (en 2006, 3 autochtones sur 10 y vivaient en deçà du seuil de pauvreté). Elle a bien souvent porté sa lourde valise de souffrances : les siennes, mais aussi celles de ses petits. Elle s’est rendue au bout du rouleau, rattrapée par le cancer; il lui a fallu rendre les armes, prendre sa retraite. Mais c’est aussi une battante, elle s’est relevée avec le goût de s’impliquer une nouvelle fois, dans son école, dans un projet nouveau : une classe Kangourou. Laurette est ainsi devenue une grand-maman Kangourou pour ses petits (et grands) souvent déjà échaudés par la vie même avant d’avoir franchi le seuil de l’école pour la toute première fois. Les troubles d’attachement, de comportement et d’apprentissage étant souvent leur lot.

Que fait-elle de spécial dans cette classe Kangourou? Elle materne les enfants, les protège, leur enseigne leurs valeurs. C’est aussi l’occasion pour eux d’expérimenter la manière de régler leurs conflits par la réparation, la compassion et le pardon. Et non uniquement par la punition et la vengeance, car lorsque la souffrance est grande, il est tentant de se venger. Mais apprendre à pardonner à l’autre et aussi à se pardonner soi-même fait de nous des êtres plus empreints de tolérance, de générosité et d’amour.

Elle les accompagne aussi pour intégrer petit à petit, à leur rythme, le monde régulier de leur école. Au besoin, elle tend aussi la main à leurs parents, qui bien souvent n’ont pu eux-mêmes bénéficier de vrais modèles parentaux, leurs propres parents ayant été déracinés en bas âge de leur milieu familial, pour être placés dans des pensionnats.

Laurette a trouvé cette fois, sa véritable voie; à sa façon, je dirais qu’elle est devenue une guide spirituelle pour sa communauté. C’est d’ailleurs ce qui émerge de sa parole si douce qu’elle ressemble à un bruissement de feuilles ondulant sous une brise légère. Son écriture est aussi fi ne que dentelle et nous parle de nature, de spiritualité nous donnant envie de mieux la connaître, de mieux connaître sa communauté. Elle peint aussi des roches de rivières racontant leur histoire pour les donner aux membres de sa famille lors d’événements spéciaux, pour qu’ils n’oublient pas leur héritage ancestral.

Si le goût m’est venu de partager avec vous cette rencontre, de vous parler de cette femme exceptionnelle, de cette grand-maman Kangourou, c’est que son message de compassion, de réparation et de pardon habite encore mon âme. Je souhaite qu’il habite aussi la vôtre! Si vous désirez en savoir davantage sur les classes Kangourou qui existent au Québec depuis 2005, vous pouvez consulter sur internet le site de Réseau Kangourou.

 

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