Denis Coderre et la lutte à la pauvreté

L'Itinéraire, Montréal, le 1er mars 2014

Le 4 février dernier, le maire de Montréal Denis Coderre est venu encourager les camelots et les participants à l'occasion de l'événement Camelot d'un jour. Il s'est ensuite entretenu avec l'éditeur Serge Lareault et le rédacteur en chef Sylvain-Claude Filion. L'Itinéraire lui a posé onze questions.

L'Itinéraire: Il y avait longtemps qu'un maire de Montréal n'avait pas annoncé, haut et fort comme vous le faites, son intention concrète de solutionner l'itinérance. Qu'est-ce qui vous motive tant?

Denis Coderre: Le rôle d'une personnalité publique – maire, député, peu importe – c'est d'aider les plus vulnérables et j’ai toujours eu cette vocation sociale. Je suis parrain des Fourchettes de l'Espoir, qui aide la réinsertion sociale par la bouffe. Je crois qu'il faut être là pour ceux qui en ont vraiment besoin, même si ce n'est pas toujours sexy. J'ai eu des parents qui m'ont donné de belles valeurs alors qu'il y a des gens qui n'ont pas l'aide nécessaire pour grandir. Ma contribution, c'est aider mon prochain et comprendre l'importance des besoins des individus. Les consultations et les sommets, c'est assez. On a l'avantage de bien s'entendre, la ministre Véronique Hivon et moi. Tout le monde veut vraiment faire quelque chose, on sent que les planètes s'alignent.

L'Itinéraire: Le fédéral apporte un financement essentiel aux organismes de Montréal. Mais il veut changer les règles de SPLI et tout axer vers le logement d'abord. Quelle est votre position?

Denis Coderre : Je suis en désaccord et je rencontre bientôt le premier ministre Harper. Pour la question du logement, tu ne peux pas avoir un one size fits all. Ça peut aller pour d'autres provinces, mais pas au Québec. On a besoin de faire comprendre qu'il y a une réalité qui est autre. Les défis sont diversifiés : logement communautaire, logement social, et le but ce n'est pas juste de rétablir la dignité d'avoir un toit,  c'est aussi d'avoir un encadrement qui les aidera à retrouver leur dignité à eux. Dans la pyramide de Maslow, tout en haut, il y a l'estime de soi.

L’Itinéraire : Pourquoi tenez-vous à réaliser un recensement de la population itinérante?

Denis Coderre : Il n'y en a pas eu depuis 1998, on parle toujours de 20 000, 30 000 sans-abri et ça augmente partout dans les refuges. Il est normal de vouloir documenter tout ça et ça ne se fera pas au détriment des ressources pour autre chose. J'ai bonifié notre budget de lutte à la pauvreté en augmentant d'un million le montant de 1,6 million, pour montrer au gouvernement du Québec qu'on fait un effort supplémentaire.

L’Itinéraire : Vous avez déclaré que 10 millions $ manquent à Montréal. D'où vient cette évaluation?

Denis Coderre : Une de mes sources, c'est Olivier Farmer, psychiatre à Notre-Dame, qui, en entrevue avec Paul Arcand, disait que c'est ce qui manquait. Au RAPSIM on m'a parlé du même montant. Si les ressources ne sont pas là, c'est qu'il doit y avoir un problème de volonté politique. C'est pour ça que je disais que les planètes s'alignent. On sent une volonté politique, on veut le faire, alors je dis: grouillez-vous!

L’Itinéraire : Comment pensez-vous vous entendre avec Mme Hivon?

Denis Coderre : Il y a eu un travail qui s'est fait en 2011 qui tient compte des différentes demandes, tout le monde a donné son point de vue, que ce soit au niveau de la santé mentale, du logement, de l'emploi… l'itinérance c'est aussi une réalité rurale. Il n'y a pas juste le centre-ville. Il va y avoir une politique qui va être déposée et on va peut-être se retrouver en campagne électorale. Il reste à mettre en branle un plan d'action et on a déjà planifié des sessions de travail pour ça.

L’Itinéraire : L'Office municipal d'habitation a une liste de 25 000 personnes en attente d'un logement. Comment pensez-vous que l'on va résoudre ce besoin?

Denis Coderre : On doit établir une politique du logement avec Québec. Tout le monde comprend qu'il y a une obligation de bâtir plus de logements, par l'entremise de notre propre réserve foncière, et en revoyant notre façon de faire quand il y a des gros buildings qui se bâtissent, afin d'avoir une mixité. Il y a aussi la réalité de la santé mentale, ça prend des logements spécifiques pour ceux qui en souffrent, il faut donc nécessairement un encadrement aussi.

L’Itinéraire : Le SPVM est souvent critiqué depuis quelque temps pour son attitude envers les sans-abri. En demande-t-on trop aux policiers, sont-ils adéquatement outillés?

Denis Coderre : Ça demande du développement, c'est pour ça que des escouades comme EMRII ont été créées. C'est un début, et quand on parle de plan d'action, on a des solutions. C'est la première fois cet hiver qu'on a une escouade du froid, les policiers vont voir les sans-abri, leur demandent s'ils sont corrects, ils s'assurent qu'ils ont des ressources, il y a des équipes qui continuent à aller dans la rue même après avoir terminé leur shift. Mais il y a toujours la réalité de la formation.

L’Itinéraire : On parle d'insécurité à Montréal, dans le Village notamment. Qu'en pensez-vous?

Denis Coderre : Il  va y avoir un débat sur la vidéosurveillance avec un encadrement légal par exemple qui peut ouvrir la «boîte noire», pour s'assurer qu'on puisse protéger notre population. Quand j'étais ministre de l'Immigration, tout de suite après les événements du 11 septembre, j'avais un agenda, qui peut s'appliquer encore aujourd'hui, et qui était d'avoir un équilibre entre l'ouverture et la vigilance.

L’Itinéraire : Vous projetez toujours de créer une agence sociale?

Denis Coderre : Je veux un organe de coordination, pour éviter les dédoublements. Créer un outil qui va nous permettre de se parler et de trouver des solutions, qu'il s'agisse de logement, d'emploi, de judiciarisation. Ce ne sera peut-être pas une agence, mais l'idée est de créer un genre de guichet unique qui nous permettra d'être plus cohérent et plus efficace. Je veux créer une table des maires d'arrondissement, ça fait longtemps que les maires ne se sont pas rencontrés en gang. On va le faire quatre fois par année pour développer une meilleure coordination, une meilleure sensibilité, car on peut tous apprendre l'un de l'autre.

L’Itinéraire : Quelle est votre priorité dans la lutte à la pauvreté?

Denis Coderre : C'est qu'on ait des outils et des moyens pour la réussir. Il faut agir positivement. Étant donné que je suis très médiatisé, je me dois d'être un outil de conscientisation face à l'itinérance. Chaque fois que j'en ai l'occasion, je parle de l'itinérance, pas dans un contexte misérabiliste, mais dans une perspective de lumière au bout du tunnel.

L’Itinéraire : Il y a des modèles qui vous inspirent pour lutter contre l'itinérance?

Denis Coderre : J'ai vu ce qui se passe à Calgary, à Toronto, mais il faut aussi gagner la sensibilité du gouvernement fédéral. Je ne suis pas un gars qui va dire qu'il faut que les autres le fassent. Je prends mes responsabilités et mon bâton de pèlerin, car il faut que Montréal redevienne incontournable, rassembleuse. Je crois aux Montréalais, je crois que la ville a une âme extraordinaire.

 

classé sous : Non classé