Le nouveau souffle de Pierre Goupil

Marie-Lise Rousseau, L’Itinéraire, Montréal, le 15 février 2014

La maladie nourrit la création, mais peut détruire une vie. Parlez-en à Pierre Goupil. Son plus récent film, le documentaire intimiste Il ventait devant ma porte, a permis au cinéaste de se réconcilier avec sa bipolarité. Pierre Goupil a vécu l'isolement dès sa tendre enfance alors qu'il devait porter un corset médical. Ne pouvant jouer avec les jeunes de son âge, il a trouvé refuge dans les livres. «Ça m'a intériorisé», confie-t-il dans son film.

Jeune adulte, le natif de Lachute débarque à Montréal et étudie le cinéma à l'UQÀM. Il réalise quelques films en plus de travailler en distribution. À la même époque, il milite activement pour la survie du cinéma indépendant. À l'âge de 37 ans, le diagnostic le frappe de plein fouet : bipolaire. Pierre Goupil se doutait bien que quelque chose ne tournait pas rond; il s'était toujours senti hypersensible.

Depuis, il a fait huit aller-retour à l'aile psychiatrique de l'hôpital Royal-Victoria. Doté d'une mémoire d'éléphant Pierre Goupil, aujourd'hui âgé de 63 ans, en garde des souvenirs cauchemardesques. «Ils m'ont attaché. Ça fait très mal et ils ne s'en rendent pas compte. Pour eux, ça fait partie des procédés d'immobilisation. Ils se mettent quatre ou cinq sur toi et te tirent les membres d'un bord et de l'autre. Ils t'attachent à une grosse courroie, au point de ne pas pouvoir accoter ton dos sur la civière … »

 

Douloureuse lucidité

 

Attablé au Café Lézard de la rue Masson. Pierre Goupil discute de sa réalité avec une grande lucidité. Il porte ce même regard dans son documentaire Il ventait devant ma porte, dans lequel il se réconcilie avec la maladie et explore son rapport à la création. Dans cet autoportrait le cinéaste est un véritable livre ouvert. «C'est un film fait avec le cœur plus qu'avec la tête», commente-t-il. Mettant sa pudeur de côté, il braque la caméra face à lui, ses angoisses et ses réflexions.

On ne peut pas passer à côté de cette scène où il raconte avec précision une psychose qu'il a vécue, dans laquelle il était convaincu d'être un homme fourmi. Psychose qui l'a amené à se mettre flambant nu sur la rue Sherbrooke en plein hiver. Le plus étonnant est qu'il raconte cet épisode de sa vie comme une histoire qui serait arrivée à autrui. «J'ai pris conscience de ce que je fais, de ce que je suis», explique-t-il.

En entrevue, le cinéaste montre le même recul sur sa personne. Posé, il prend le temps de soupeser chaque mot qu'il emploie avant de formuler ses phrases, toujours précises et imagées. À cause de ses séjours forcés en psychiatrie, le cinéaste a perdu des logements et beaucoup de biens matériels. Son film débute d'ailleurs sur des images de son déménagement forcé en 2009, alors qu'il venait d'être évincé de son appartement. «J'avais des beaux livres qui ont pris le bord, des collages qui devaient servir pour le film que j'ai déchirés … Mais j'étais en psychose. On n'est pas reposant pour les autres quand on est en psychose. Je me demande si j'aurais pas agi de la même façon à la place de mon propriétaire … Je ne lui en veux pas … Quand t'es malade, t'es pas tenable.»

 

Appliquer les freins

 

Son film, il le mijotait depuis un bon moment. Sa démarche pour en accoucher a parfois fait déborder la marmite. «J'ai eu une longue période de scénarisation. Des fois c'était décollé du projet lui-même. C'était comme devenu un mode de vie de me poser des questions, d'écrire chaque jour. de revenir sur des choses. Ça m'a entraîné dans la maladie … Quand t'es bipolaire et que tu travailles dans un domaine artistique, ça te libère et des fois ça te coince.»

Thérapeutique, la création d'Il ventait devant ma porte avec son complice Rénald Bellemare aura permis à Pierre Goupil de briser le cycle de colère qu'il entretenait avec le milieu hospitalier. «Je sais que c'est pas facile de nous raisonner quand on est en psychose. J'ai récemment vu un ami bipolaire qui a flyé; même moi je savais pas comment le prendre». dit-il. Poursuivant sa réflexion sur la bipolarité, le cinéaste poursuit: «C'est une maladie bizarre. Elle procure beaucoup de joie et beaucoup de souffrance.» La recette de sa stabilité? «Rester entouré.» L'artiste peut compter sur des amitiés solides, dont les témoignages ponctuent son documentaire, pour garder les deux pieds sur terre. Et la maladie a tout de même du bon: «la sensibilité supplémentaire pour créer, pour sentir les choses, pour donner du sens à sa vie».

classé sous : Non classé