Des affiches qui hurlent

Marc Boutin, Droit de parole, Québec, février 2014

Qui ne connait pas le poète Edmé Étienne ne l’a probablement jamais vu. Dans le spectacle de la vie, autantdans la rue que sur scène, il porte les signes ostentatoires de la culture punk, ou du moins d’une branche de la culture punk où on porte l’étendard de l’amour et de l’anarchie.

Interviewer Edmé, c’est prendre un congé provisoire du capitalisme pogné et étouffant qui pollue et amoindrit tout autour de nous pour se brancher sur les courants alternatifs qui alimentent autant sa poésie que ses dessins : la révolte sociale et l’utopie radicale. Être poète pour lui c’est comme être amoureux, ça occupe à plein temps et ça va durer, parole d’Edmé, toutes les années qui lui restent à vivre, rien de moins : « Ma poésie est vouée à construire la beauté, la beauté trash et cela correspond pour moi à un engagement total, le sacrifice d’une vie ».

 

Un fier autodidacte

 

« Mes dessins sont des graffitis sur le mur de l’éternité ». On peut dire que ses dessins fessent dans le pare-brise. Il en produit une trentaine par année (plume, encre de chine, papier bristol) et un même nombre de poèmes. En dessin comme en écriture, Edmé est son propre maître. Ses dessins –autoportraits fantaisistes, portraits d’amis de passage, allégories sur Jésus et la nature, cris du coeur – témoignent d’une naïveté abrupte. Le traitement est à la fois tendre et farouche, la forme picturale peut faire penser, couleur en moins, au Douanier Rousseau, mais à un Douanier Rousseau déjanté, parti sur l’acide. Dans la vie de tous les jours, Edmé défend les principes d’une chrétienté ardente et non-religieuse, d’un pacifisme absolu tout en conspuant le capitalisme quand l’occasion se présente, c’est-à-dire tout le temps.

 

L’anarchie sans amour, c’est l’enfer (Pierre Lavallée)

 

« Je suis politisé mais mon combat n’est pas politique. Je m’inscris radicalement dans une lutte contre le capitalisme mais cette lutte doit avoir comme but l’avènement d’une poésie plus humaine, plus intègre. Il faut remplacer le capitalisme par quelque chose de pur, par une valeur non commercialisable ». Pour Edmé, il n’y a pas de contradiction à être individualiste, et même solitaire, tout en souhaitant être membre d’une communauté affinitaire.

Les communautés affinitaires sont de petites communautés où on se choisit (d’où l’aspect affinitaire) mais, à une échelle plus grande, solidaires entre elles. Dans la communauté idéale, les relations ne peuvent passer par l’argent ; elles doivent passer par un renouvellement individuel basé sur l’amour, sans quoi il ne pourra y avoir de réelle révolution politique. La gratuité doit être à la base des relations humaines prérévolutionnaires : « Mon domaine : tout ce qui ne s’achète pas. Je suis partisan d’une anarchie céleste qui vise le paradis sur terre, paradis qui doit advenir par une transformation des relations humaines, transformation dans laquelle la poésie joue un rôle crucial ». J’en déduis, par ses paroles et ses dessins, que les demi-mesures et les compromis sur les principes ne font pas partie du karma d’Edmé.

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