Daniel St-Onge, Regards, février 2014
Récemment, on m’apprenait que le poète Snoute était mort le 10 décembre dernier à l’âge de 61 ans. Je le connaissais depuis la fin des années 70. C’est mon ami Luc Pouliot, féru de littérature, qui me l’avait présenté à l’époque. Leur amitié remontait à l’école secondaire à Windsor. De son vrai nom Michel Craig, je n’ai jamais su d’où lui venait son pseudonyme Snoute. D’ailleurs, ça ne m’est jamais venu à l’idée de lui demander.
Snoute avait choisi tôt de pratiquer à temps plein son « noble métier de poète », comme il disait. Autodidacte, il a dû publier pas moins d’une cinquantaine de recueils et feuillets de poèmes et réflexions entre 1975 et 2013. Il publiait toujours ses œuvres à compte d’auteur, généralement en petits formats, photocopiés et à faible tirage. Il s’alliait la collaboration de copains et de muses dans la mise en page, la transcription, les illustrations et les photos de ses œuvres.
Qui ne l’a pas aperçu, arpentant le centre-ville de Sherbrooke, de rue en rue, de bar en bar, en quête d’acheteurs de ses écrits? Ce faisant, il avait toujours une anecdote personnelle à raconter sur ses périples de bourlingueur « à pied, sur le pouce, le baluchon à l’épaule », comme il a intitulé un de ses recueils. Des histoires où se mélangeaient réalité et fabulation, qu’il racontait sans rire, laissant son auditeur départager à sa guise le vrai du faux. Quelques minutes de conversation plus tard, il plongeait la main dans son sac vert à bandoulière de surplus de l’armée pour en tirer et vous proposer un de ses petits bouquins. Le prix toujours laissé à la discrétion. « La poésie, ça n’a pas de prix! » disait-il.
Au tournant des années 1990, Snoute disparut du paysage sherbrookois, pour réapparaître une dizaine d’années plus tard. Je le trouvai alors vieilli avec son visage buriné et sa barbe de patriarche; sa démarche devenue lente, appuyée sur une cane : usure prématurée d’une vie ponctuée par les quatre cents coups, les disettes et les aléas de la vie de poète de la rue. Mais, son regard bleu était toujours aussi brûlant de son amour pour la vie de bohème et la liberté : thèmes omniprésents dans son œuvre poétique. Encore cet automne, je l’ai croisé à quelques reprises à la station Dépôt, en attendant mon bus. Nous conversions de choses et d’autres.
Il me proposait fièrement un recueil ou un feuillet. Comme jadis, le prix toujours laissé à la discrétion… Bien que Snoute n’ait jamais été un ami au sens intime du mot, comme beaucoup de ceux qui l’ont connu, je lui ai toujours voué beaucoup d’affection. D’une certaine façon, il aura toujours été un solitaire sans réellement l’être, car il avait un irrésistible besoin de contacts humains, de voir du monde. N’est-ce pas ce qui caractérise la marginalité, spécialement celle de la rue? Or, c’est en toute conscience que Snoute avait opté pour sa vie de poète, laquelle s’apparente à l’idée qu’on se fait souvent d’une vie d’artiste de la fin du IXe et début XXe siècles. Il y aura été fidèle jusqu’à son dernier souffle. Critique des artifices de notre société de consommation, via sa poésie et ses réflexions, Snoute se fit surtout chantre de l’humanisme, de l’amour, de la nature et de la bohème.
Aujourd’hui, je me réjouis de constater qu’il a acquis le respect de la plupart de ceux qui ont croisé ses pas, en marge des milieux littéraires officiels. Snoute aura même gagné l’admiration d’une nouvelle génération d’artistes et de poètes du milieu, qui ont su déceler en son œuvre une vision du monde qui leur parle, notamment sa détermination inébranlable à vouloir vivre sa poésie, et non pas seulement l’écrire.