Lynda Forgues, Droit de parole, Québec, février 2014
Suite au retour des duchesses au Carnaval de Québec, Droit de parole a rencontré en janvier dernier la fondatrice de la Revengeance des duchesses, qui nous parle de sa vision de l’événement et de sa conception de la fête.
Q- La Revengeance des Duchesses a 5 ans. Quand cette idée a germé, pensiez- vous intégrer un jour avec votre équipe, le Carnaval officiel ?
R- Quand on a parti ça il y a 5 ans, c’est sûr non, ça n’a jamais été un but, de faire partie du Carnaval de Québec. Ni non plus de militer pour un retour éventuel des duchesses au Carnaval. On a toujours dit qu’on était là pour rester et qu’on désirait être les nouvelles duchesses et qu’il ne restait qu’à la population à nous adopter telles que nous sommes même si on pouvait être en dehors du Carnaval officiel. Selon nous, notre entreprise était justifiée et pouvait convenir justement à ce que les gens recherchent par rapport aux duchesses c’est-à-dire la représentativité; qu’il puisse y avoir une petite guerre amicale de quartiers.
Depuis mars 2013 – il y a eu plusieurs discussions avec le Carnaval, parce qu’ils voulaient revenir avec les Duchesses, nous on existait déjà, donc ils nous ont d’abord ouvert leur porte. Nous aurions pu profiter des nombreux moyens financiers et des ressources humaines du Carnaval, ça aurait été pas pire. On est allé les rencontrer plusieurs fois, on a regardé s’il y avait la possibilité de faire des choses ensemble, et on s’est rendu compte assez vite, de part et d’autre, qu’on n’avait pas la même mission. Celle du Carnaval est plus commerciale, c’est de dynamiser l’activité économique durant une période morte, à Québec. La nôtre est liée à l’émancipation de la femme, et aussi de valoriser les quartiers de Québec ; alors on n’a pas trouvé de terrain d’entente afin de devenir les duchesses du Carnaval. On nous a dit qu’on voulait des femmes télégéniques, qu’est-ce que c’est être télégénique ? On nous a dit que le mot « féminisme » faisait peur. Oui ça fait peur au point de vue marketing, mais si on prend ça au point de vue pédagogique, le Carnaval aurait pu avoir du courage et se donner une mission un peu plus éducative auprès de la population. Ils ont décidé de ne pas le faire.
Q- Les Duchesses de la revengeance ne représentent pas du tout des « duchés» du Carnaval, mais plutôt des quartiers plus centraux de la ville de Québec. Peut-on dire que ce n’est pas pour la banlieue ?
R- Nous ne voulions pas prendre le terme « duchés », parce que ça référait à la noblesse. On est des citoyennes, on ne se trouve pas plus « fines », ni meilleures que le citoyen, on ne veut pas se placer au-dessus de lui. Le fait de représenter des quartiers est lié au sentiment d’appartenance dont les gens ont besoin depuis la disparition de l’importance des paroisses, de l’esprit de clocher, le fait de se retrouver en micro communautés. Il y a un grand besoin de ça dans la population en général, dans le monde, les sites de communautés virtuelles hyper locales sont là pour le prouver : monlimoilou.com, monstsauveur.com On est dans cette mouvance-là, où les gens ont besoin d’entendre parler de leur milieu de vie immédiat ; c’est pour ça qu’on représente des quartiers. De plus, duché se rapporte à l’ancienne formule des duchesses du carnaval, nous on voulait casser ça.
Pour la banlieue versus la ville, à chaque année notre appel aux duchesses s’étend partout dans la communauté urbaine de Québec. On a déjà eu des duchesses de Charlesbourg, de Beauport, de l’Ancienne- Lorette. L’an dernier, on avait une duchesse de St-Émile. On n’est pas limitées ici. Par contre, ce qui arrive depuis 5 ans c’est qu’on a plus de candidatures qui proviennent du centre-ville. Pourquoi ? Peut-être que notre réseau est plus établi ici, que les personnes au courant de l’événement vivent au centre-ville, que nos amis y vivent; c’est une question de réseau. Cette année, il y a eu des candidatures de Neuville, de Lévis, mais qui n’ont pas été retenues.
Q- Les critères de sélection de vos duchesses sont très différents de ceux du Carnaval, il n’y a pas de limite d’âge, entre autres. Qu’en dites-vous ?
R- Ils sont très différents et c’est un point majeur empêchant la collaboration avec le Carnaval. Il n’y avait pas d’issue. Moi j’ai toujours tenu, à la Revengeance, au fait qu’on ne rencontre pas les aspirantes duchesses, parce qu’on ne veut se baser que sur le contenu et les idées, et l’aspect création. Donc, le potentiel créatif de chacune d’entre elles n’a rien à voir avec la « personnalité » ; ça n’a rien à voir avec l’apparence, rien à voir avec la présentation, rien à voir avec le dynamisme.
Le potentiel créatif de quelqu’un n’a rien à voir avec ça, parce qu’il y a des gens introvertis qui sont hyper créatifs, il y a des gens extravertis qui sont hyper créatifs, et ça, ça peut avoir une grande influence au moment du choix, si on les rencontre ; on aura tendance à choisir davantage des extravertis, il faut faire attention à ça, parce qu’on marginalise la participation à un événement. Donc, c’est pour cela qu’on ne rencontre pas les duchesses, qu’on s’interdit de
visiter des profils Facebook. On ne se fie qu’à un formulaire, un questionnaire, où les femmes doivent démontrer la connaissance de leur quartier et du projet dans lequel elles veulent s’impliquer, et montrer qu’elles sont disponibles, capables d’écrire, parce que c’est un blogue. C’est surtout la création qu’on cherche à faire ressortir ; on veut découvrir la personne et ce qu’elle peut apporter de nouveau, et si elle est capable de se dévoiler entièrement, si elle n’a pas trop de couches de superficialité.
Q- Vos duchesses doivent porter un projet de création. Quand le carnaval est revenu cette année avec ses Duchesses, il vous a un peu piqué votre idée, avec les projets, sans pour autant accorder plus de liberté d’expression aux femmes. Qu’en dites-vous ? Est-ce que le Carnaval a piqué notre idée des projets ? Nos duchesses doivent créer beaucoup, 7 à 8 publications sur le blogue, durant les 2 semaines; le volet « projet » des duchesses est sûrement quelque chose que la Revengeance a pu apporter au Carnaval. Étant donné que le Carnaval a de grand moyens et que leurs duchesses sont plus visibles que les nôtres, il faut qu’elles aient quelque chose de plus à offrir que juste « une belle personnalité». Est-ce que les gens du Carnaval ont constaté que ça prenait autre chose ? Pour moi c’est un pas en avant. Le projet de Limoilou par exemple, le défilé au flambeau, avec des stations où un conteur narrera l’histoire de la Cité Limoilou à chaque borne, c’est très « Revengeance ». Si ça s’inscrit dans le Carnaval officiel, et que c’est suivi par plusieurs personnes, et bien bravo.
Q- Quand on compare les pages web des deux sortes de duchesses, la différence est flagrante. Celle du carnaval, avec son design de « princesse Disney », semble s’adresser à la tite-fille enfouie chez maintes femmes. Sur quel aspect mise la Revengeance ?
R- Nous faisons très attention à ce que nous projetons. Dès le début, il était important de casser le moule de l’image que les gens de Québec se faisaient de la duchesse traditionnelle. À chaque fois qu’on prend des photos à la Revengeance, planifiées en studio, c’est notre préoccupation principale. On ne veut pas, qu’encore une fois, ces femmes-là se sentent prisonnières du moule dans lequel la société de consommation les force à entrer. Il faudrait être toutes pareilles, c’est ça le message : soyez ainsi, toutes la même. Nous on insiste sur la différence, sur les poses non conventionnelles. Parfois c’est tough pour les femmes qui font ça, de se voir grimacer, de se voir moins belles selon les standards ; c’est rough, il faut qu’elles y travaillent. Même si on pense la femme libérée au Québec, tout ça est très ancré encore en nous. C’est super dur.
Q- Est-ce possible de se réapproprier l’hiver et un carnaval, par exemple à l’aide de la revengeance, du carnaval off, dans les quartiers, en dehors du circuit commercial officiel ?
R- La problématique au niveau du Carnaval c’est que, par exemple, ils organisent la guerre des Ducs, une guerre de boules de neige sur les Plaines, en construisant des forts, mais il faut payer pour y aller… Pourquoi on ne peut pas y aller tout simplement ? Depuis quand il faut payer pour aller sur les plaines ? Ça enlève une certaine liberté aux citoyens. Les gens ne sont pas dupes, ils savent que ça coûte toujours quelque chose pour aller au Carnaval. Pour une famille par exemple, 3 enfants 2 parents, c’est 75 $ seulement pour aller sur le site, si vous voulez goûter aux friandises, tout est en sus, etc., c’est loin d’être accessible à tout le monde. Nous, on parle d’activités prises en charge par la population, l’an passé il y a des citoyens qui se sont mobilisés pour organiser des activités pour leur duchesse, un tournoi de hockey bottine dans Limoilou. Il y avait de la soupe aux pois, du café, Nous on n’a rien fait d’autre que dire : la duchesse sera là et on va amener du monde. Cette façon de faire semblait mobilisatrice pour les gens, qui appréciaient aussi la liberté d’action des citoyens ; peut-être qu’ils le referont cette année et auront encore plus de personnes pour y participer. Nous sommes là pour les gens. Nous sommes ce genre de duchesse, la duchesse de la population.
Je crois que c’est pour ça que la Revengeance arrive à mobiliser autant de bénévoles autour de son projet, et ce, depuis 5 ans. C’est une trentaine de femmes et 3 hommes. Cette année, pour la première fois, nous avons obtenu du financement de la ville, sans aucune condition.
Q- Le Carnaval a ramené les Duchesses comme moyen de vente de leur produit déficitaire. Que penser du fait qu’au XXIe siècle on utilise encore l’image de la femme comme argument de vente, comme stratégie de marketing ?
R- Dans le retour des Duchesses, au Carnaval, il y a oui un aspect marketing. Une des principales raisons est que la vente de la bougie, depuis que les duchesses ont disparu, est en déclin ; la bougie est un des gros moyens de financement du Carnaval. Pourquoi les gens achetaient la bougie ? Pour encourager leur duchesse parce que ça lui donnait une chance de devenir reine, donc, combat de quartier, guerre de clochers… ils ont perdu beaucoup de plumes, sur le plan du financement ; utiliser la femme comme tactique pour faire vendre, ça marche encore.
Ce n’est pas nouveau, ce n’est pas créatif, et on revient avec ça. C’est pathétique. Ça montre qu’il y a peu de créativité, il y a moyen de faire de l’argent, ou essayer de faire de l’argent, autrement que par cette solution-là qui, finalement, cause beaucoup de tort aux femmes, plus que les gens ne le pensent, parce qu’on est pris dans ce moule-là, qu’on nous impose, et c’est triste, parce que c’est dur de s’en sortir.
Le Carnaval, quand il choisit de ramener la formule des Duchesses, a une responsabilité envers la population et envers les femmes. Il doit comprendre et agir en ce sens. Comme s’il ne se rendait pas compte de l’impact de cette décision. Comme si pour le Carnaval, tout cela était bénin et sans importance.
Peut-être faudrait-il aller leur dire ? Leur montrer ? Il y a là de l’éducation populaire à faire.