La Mission Old Brewery a 125 ans : Matthew Pearce aimerait devenir inutile

Simon Cordeau, L’Itinéraire, Montréal, le 15 janvier 2014

Ce mois de février frisquet marque le 125e anniversaire de la Mission Old Brewery, un des principaux refuges pour les personnes itinérantes de Montréal. Pour l'occasion, L'Itinéraire a rencontré son président-directeur général, Matthew Pearce. Il nous parle de son parcours à travers le monde, de son ambition de mettre fin à l'itinérance à Montréal et de son impatience de voir les choses changer.

Matthew Pearce fouille dans son bureau. «Je crois en avoir une quelque part.» Son bureau n’est ni vraiment grand, ni en désordre. Mais il cherche un vieil objet. Un artéfact d'une autre époque. «Ah, oui, voilà!» Derrière une pile posée contre une des baies vitrées donnant sur la rue, il retire un petit cadre. Une photographie noir et blanc se trouve derrière la vitre. Un itinérant en chaise roulante, dans une rue, fait face à un mur de dépanneur, sous une pancarte de Coca-Cola.

C'est une photographie qu'il a prise à l'époque où il étudiait les sciences politiques et l'histoire à Halifax, en Nouvelle-Écosse. «L'appartement que j'avais était dans un voisinage assez pauvre, se souvient-il. Des personnes itinérantes circulaient dans le parc devant chez moi.» Photographe amateur, il décide un jour de suivre leur évolution au fil de la journée et de croquer leur portrait. «J'avais peut-être des préjugés, comme la plupart des personnes en ont.»

Le PDG de la Mission Old Brewery (OBM) aime confronter ses préjugés. Ses études lui ont ouvert l'esprit sur le monde, sur des perspectives et sur des valeurs différentes. Il se fait ensuite globetrotter, sac au dos, avant de se retrouver à Jeunesse Canada Monde. Comme superviseur de projet, il assure le fonctionnement d'échanges internationaux entre jeunes d'ici et d'ailleurs.

«L'important, c'est de confronter ses valeurs, et de questionner les choix qu'on a fait» Après 22 ans dans cet organisme, où il est passé par «presque tous les postes» jusqu'à celui de PDG, c'est ce qu'il retient de son aventure avec la jeunesse de partout à travers le monde. «On veut être ouvert. On valorise la tolérance. Mais vivre de la tolérance, c’est une toute autre chose», précise-t-il.

 

Retour à Montréal

 

Lassé du tumulte des aéroports, il revient s'établir à Montréal au milieu des années 2000. Il se questionne alors sur la responsabilité des entreprises envers la société et met sur pied un site web sur le sujet. «C'était surtout pour ouvrir la discussion.» Ensuite, au moment où il cherche à travailler dans le milieu communautaire, il apprend que la Mission Old Brewery se cherche un PDG, en 2008.

«Au départ, je n'étais pas très intéressé, admet-il. J'avais en tête que l'OBM est un refuge et une soupe populaire. C'est important, ces services. Mais je pensais «Si la job est juste de faire fonctionner une ressource qui aide les gens dans la rue, ce n'est pas pour moi.»

Il prend tout de même la peine de se renseigner et s'aperçoit que, depuis peu, l'organisme a lancé des projets d'accompagnement qui aident les gens à sortir de l'itinérance. L'OBM ne s'intéressait donc pas seulement à soulager cette réalité. «Je me suis dit : "ça, c'est quelque chose qui peut m'intéresser!"»

Cette idée de solutionner l'itinérance à Montréal, Matthew Pearce la met au centre de la Mission Old Brewery. «On ne peut pas empêcher que qu'un de vivre des malheurs, mais on peut l'empêcher de rester dans la rue pendant des mois ou des années», affirme-t-il avec certitude. Cela peut sembler ambitieux, mais il le voit comme un défi personnel. Il se montre même impatient. «J'ai 59 ans. Je ne veux pas passer à la retraite et dire que l'itinérance est au même stade que lorsque je suis entré à la Mission. Et je ne veux pos travailler jusqu'à 80 ans.»

 

Fermer la Mission Old Brewery

 

Après cinq ans en poste, M. Pearce se dit satisfait de son bilan jusqu'à maintenant. «On n'est pas encore arrivés à destination, mais on a une bonne idée de comment s'y rendre.» Son ambition? Fermer le refuge d'ici quelques années. «Cela peut paraître impossible aujourd'hui. Que vont faire les gens? Mais la réalité sera différente.» Déjà, ceux qui sollicitent un lit à l'OBM pour une première fois n'ont pas accès aux dortoirs. Ils sont plutôt amenés dans un centre résidentiel d'évaluation et de référencement. Le but : s'attaquer au problème dès la première nuit pour éviter que l'itinérance ne devienne chronique.

Parmi ses projets, il y a aussi celui d'augmenter le nombre de logements abordables, qui font le pont entre l'itinérance et l'indépendance. «Lorsque l'on offre un lit et un repas, on aide. Mais on encourage aussi les gens à rester dans le cercle vicieux de la rue. Il faut faire plus», explique-t-il. La Mission se concentrera donc à faire sortir ses usagers de la rue, toujours en gardant en tête les trois piliers de son approche: la santé, le logement et le soutien. Matthew Pearce insiste sur l'importance d'agir. «Ce n'est pas suffisant de faire des bonnes choses. Il faut faire des bonnes choses qui font une différence.» En discutant de la nouvelle politique provinciale sur l'itinérance, il énonce le même constat. «Il ne faut pas que ça reste sur les tablettes. Il faut passer à l'action, et que le gouvernement débloque les ressources nécessaires.»

 

Bel égoïsme

 

Le directeur parle de tous ses projets avec la plus grande assurance. Il semble être habité d'une force tranquille, naturelle. Pourtant, il a son lot d'anecdotes émouvantes ou difficiles à raconter, depuis qu'il est à la Mission. Devant les malheurs des plus démunis qui fréquentent son organisme, il ne cède pas aux sentiments de pitié ou d'impuissance; il est plutôt prêt à aider et il cherche des solutions.

Il raconte une histoire en particulier, où un homme était venu servir le souper bénévolement avec des collègues de travail. «Il a déposé une assiette devant quelqu'un. C'était son fils, avec qui il avait brisé les liens. Il ne lui avait pas parlé depuis des années. Et là, il voit… son fils!», raconte-t-il encore ébahi. Il en profite pour rappeler que personne n'est à l'abri de l'itinérance.

Pourquoi cet engagement. Ce dévouement pour la cause? M. Pearce admet volontiers être égoïste. «Je le fais parce que c'est valorisant. Et lorsque je serai dans ma chaise berçante, je veux pouvoir me dire que j'ai fait ma part.» Bel égoïsme.

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