Lucien Cimon, Le Mouton NOIR, Rimouski, le 25 janvier 2014
On parle peu chez les critiques patentés de l’auteur Sébastien Chabot, originaire du Bas-Saint-Laurent, dont l’humour, la verve et l’originalité semblent intarissables. Chabot, avec son quatrième roman, L’Empereur en culottes courtes, continue d’affirmer son écriture et d’approfondir une vision très personnelle de notre monde à travers des histoires d’une fantaisie débridée, peuplées de personnages tout à fait étonnants. Le monde qu’il crée l’inscrit, ne soyons pas trop modeste, dans la lignée de Rabelais, Apollinaire, Céline et, chez nous, de Roger Fournier et François Barcelo.
L’Empereur en culottes courtes raconte principalement l’histoire de Malik, un enfant étonnamment surdoué qu’une généalogie pour le moins particulière vouait à une inadaptation profonde. Dès l’âge de quatre ans, méprisé par toutes les instances de la fonction publique, il savait déjà tout ce qu’il est utile de connaître pour vivre dans un monde difficile. Il est en plus doué d’une force physique surprenante et, heureusement, imperméable à toute forme de virus ou de microbes mortels.
L’action se déroule dans le petit village de Sainte-Florence qui devient, pour l’occasion, un microcosme de notre société, laquelle n’est pas si différente des autres sociétés dites développées. Derrière des tableaux d’une truculence souvent désopilante, c’est la déliquescence de notre corps social qui se profile. Cette décrépitude provoquée et entretenue par l’excitation des puissances médiatiques qui travaillent à enfermer les populations dans les potins, les divertissements et les conflits faciles à provoquer et à contrôler. C’est ainsi qu’on réussit à détourner l’attention des véritables drames humains et des projets collectifs qui seraient susceptibles de transformer nos sociétés en autre chose qu’une énorme machine à polluer.
L’auteur nous fait suivre les tribulations de son héros de sa naissance jusqu’à l’aube de la vingtaine. Cette trajectoire lui permet de faire une critique joyeusement décapante de nos institutions, qu’il s’agisse de la famille, des systèmes d’éducation et de santé, des institutions politiques ou des médias. Dans ce monde peuplé de citoyens abrutis, de professeurs soumis à des programmes absurdes, de patrons d’entreprises bornés et tyranniques, d’élites politiques uniquement sensibles à l’épaisseur des enveloppes brunes ou de journalistes avant tout soucieux de leur gloire personnelle, comment penser que le simple bon sens puisse être considéré comme autre chose qu’une maladie? Le sort réservé à Malik nous prouve bien que cette société en est incapable.
On peut avoir l’impression que Sébastien Chabot profite de l’occasion pour régler ses comptes avec une communauté rendue étouffante par la complicité de ses élites avec les forces qui réduisent les citoyens à l’esclavage. Nous sommes toutefois obligés de constater que le regard qu’il porte sur ce microcosme de notre monde n’est pas dénué de tendresse ni d’affection pour ces humains profondément démunis. Il nous rappelle que «le peuple est souverainement résilient».